Les cristaux phononiques (CPs) sont des matériaux composites périodiques pouvant posséder des propriétés de propagation inhabituelles. Ainsi, selon les caractéristiques physiques de leurs constituants et si la longueur d’onde incidente est de l’ordre de grandeur de la périodicité, leurs structures de bandes acoustiques/élastiques peuvent présenter des bandes interdites, c’est-à-dire des domaines de fréquence où la propagation des ondes y est interdite. En plus de ces bandes interdites, dites de « Bragg » car directement associées à la structure périodique des CPs, ceux-ci peuvent présenter d’autres propriétés de propagation originales telles que des courbes de dispersion à pente négative, des bandes passantes à réfraction nulle ou des modes « topologiques » (voir ci-dessous). Ces propriétés de propagation, inexistantes dans la plupart des matériaux naturels, peuvent être exploitées notamment pour réaliser des isolants phoniques performants, des filtres fréquentiels et des guides d’ondes efficaces, des sources sonores à forte directionnalité, des dispositifs permettant de focaliser les ondes acoustiques …
Les métamatériaux acoustiques et élastiques (MMAs) présentent les mêmes propriétés de propagation particulières que les CPs, mais dans ces matériaux spécifiquement structurés, ces propriétés ne dépendent pas de la périodicité de la structure, mais uniquement des propriétés mécaniques de leurs éléments constitutifs qui peuvent être localement résonants. Les MMAs présentent d’une part un caractère sous-longueur d’onde c’est à dire que les dimensions des briques de base les constituant sont beaucoup plus petites que la longueur d’onde incidente et d’autre part leurs propriétés mécaniques (densité, modules élastiques, …) sont caractérisées par des paramètres effectifs dynamiques pouvant prendre des valeurs négatives dans certains domaines de fréquence.
Cristaux phononiques comme isolants phoniques
Nous avons réalisé une étude combinant à la fois des résultats de design de structure et de tests expérimentaux (transmission et perception) mettant en evidence la possibilité de réaliser des barrières anti-bruit à base de cristaux phononiques. Nous avons en particulier cherché à analyser comment le son est perçu par un auditeur lorsqu’il traverse un écran acoustique constitué d’un cristal phononique. Une structure faite de tubes de PVC placée dans l’air et présentant une bande d’arrêt dans le domaine des fréquences audibles a donc été realisée au laboratoire et testée sur un panel de volontaires. Notre étude a montré qu’un écran acoustique efficace pour les fréquences audibles peut être conçu à partir de ce cristal phononique; cette efficacité étant du même ordre que celle obtenue avec un écran massif solide. Ce travail nous permet de proposer des alternatives intéressantes aux murs anti-bruit usuels. En effet ces derniers qui sont le plus souvent des murs continus massifs ont un impact visuel négatif sur le paysage environnant, s’opposent au passage de la lumière ambiante, ont une résistance très importante aux flux d’air et sont constitués de matériaux peu ou pas du tout bio-compatibles. On peut alors imaginer de nouveaux écrans acoustiques à base de cristaux phononiques dans lesquels les inclusions seraient des arbres ou des poteaux végétalisés et s’intégrant parfaitement dans leur environnement… [ActaA_ 2022]
Cristaux phononiques piezo-électriques accordables
Les CPs constitués partiellement ou totalement de matériaux piézoélectriques ont été envisagés afin de tirer partie de leur couplage électromécanique élevé dans le but de contrôler, par le biais d’un stimulus électrique externe, la dispersion des ondes élastiques et, par conséquent, leurs propriétés de propagation. Il a été démontré en particulier qu’un empilement de plaques ou de tiges piézoélectriques séparées périodiquement par des électrodes minces présente des bandes interdites qui dépendent uniquement du type de conditions aux limites électriques (CLE) appliquées aux électrodes. En outre, en fonction des CLE, on obtient une accordabilité, c’est-à-dire un décalage et une modulation de la largeur des bandes d’arrêt (bande de Bragg à charge électrique – ECBBG). Cette accordabilité a été clairement démontrée expérimentalement [JAP_2014].
Ce concept a ensuite été étendu aux plaques contenant un réseau périodique d’électrodes, ce qui a donné naissance au concept de bande interdite électrique de Bragg (EBBG) [IEEE_2018]
Afin d’obtenir des composants SAW accordables basés sur la notion de bande interdite électrique de Bragg (EBBG), une preuve de concept a été réalisée en considérant un résonateur SAW depose sur un substrat LiNbO3. Il a été démontré qu’il est possible de déplacer la fréquence de résonance principale du résonateur en modifiant les conditions électriques appliqués sur les électrodes constituant les miroirs de la cavité [APL_2022].
Cristaux phononiques piezoélectriques modulés en temps
Un contrôle plus complexe des bandes interdites peut être réalisé en considérant une modulation temporelle des conditions aux limites électriques (CLEs). Ce genre de modulation permet d’introduire des effets physiques non linéaires dans le CP et de les contrôler. L’interaction d’une onde élastique avec une structure spatialement périodique et modulée en temps peut présenter sous certaines conditions des effets d’intermodulation analogues à l’effet de diffusion Brillouin, une transmission non réciproque dans une gamme de fréquences accordée par la vitesse de modulation des CLEs [APL_2017] , un régime de fonctionnement instable à des vitesses de modulation subsonique et supersonique [APL_2023]. La modulation spatio-temporelle des CLEs a été réalisée expérimentalement dans un CP piézoélectrique comportant un sous-ensemble périodique d’électrodes mises à la terre décalées dans l’espace à vitesse constante [APL_2023].
Métamatériaux hiérarchiques bio-inspirés
Ce thème de recherche se base sur l’hypothèse que « le principe de fonctionnement des métamatériaux est déjà exploité dans la nature, où il a donné lieu à des conceptions optimisées et à des fonctionnalités orientées vers des objectifs précis ». Ainsi, les structures (poreuses) hiérarchiques typiques des diatomées (voir images MEB ci-dessous ) permettent un contrôle non-conventionnel de la lumière et se comportent comme des métamatériaux optiques.
Dans ce contexte, l’objectif principal de cette thématique de recherche est d’étudier et de caractériser mécaniquement et dynamiquement des systèmes biologiques afin de concevoir des métamatériaux élastiques innovants. Ces métamatériaux hiérarchiques bio-inspirés doivent permettre de réaliser des dispositifs légers et compacts pour le contrôle de la propagation des ondes mécaniques dans les régimes infrasonores, sonore et ultrasonore [IJMS_2023].
Protection topologique
La protection topologique permet d’obtenir un contrôle spatial et une localisation exceptionnels de différents types d’ondes et en particulier les ondes acoustiques et élastiques. Cependant cette localisation requiert le plus souvent des changements de symétrie importants sur des parties substantielles de la structure considérée. Pour surmonter ces contraintes, nous avons proposé un nouveau modèle inspiré de la théorie des « charges électroniques fractionnaires », permettant d’obtenir des modes topologiquement protégés localisés dans des milieux élastiques continus périodiques en modifiant seulement une cellule unitaire. La simplicité et la généralité de cette approche ouvrent de nouvelles voies dans la conception de dispositifs permettant la propagation d’ondes sans diffusion et insensible aux défauts, l’occultation d’objets, la transmission unidirectionnelle et l’amélioration du transport et de la récupération d’énergie, notamment [Phys. Rev. Appl._2023].
Par ailleurs, en considérant un modèle simple de chaines atomiques du type masse-ressort analogue au modèle usuel Su-Schrieffer-Heeger dans lequel la cellule élémentaire contient 3 atomes de masses identiques couplés entre eux par des constantes de raideur différentes, des conditions d’existence de modes pouvant se propager le long de la chaîne dans un sens mais pas dans l’autre ont été obtenues de façon analytique en fonction de ces constantes de raideur [Crystals_2024].Nos activités de recherche en acoustique sous-marine sont axées sur la discrétion acoustique et la furtivité des navires. Elles s’appuient sur un large spectre d’expertise : outils de simulation numérique, conception, fabrication technologique et caractérisations expérimentales.
Des panneaux structurés intégrant des CPs et des MMs ont été évalués en tant que revêtements acoustiques pour des applications aux systèmes sous-marins, en particulier pour la réduction du bruit rayonné dans l’eau. De nouveaux concepts de panneaux acoustiques avec différents réseaux de macro-inclusions ont été simulés, fabriqués et testés dans le bassin d’essais de l’IEMN-ISEN [CRM_2015, ROUX_2021]
Un outil de caractérisation innovant : la “méthode 3 points”
Ces panneaux peuvent être caractérisés dans un bassin d’essais en considérant une configuration de mesure conventionnelle consistant en un panneau, une source acoustique et deux hydrophones placés de part et d’autre du panneau. Cependant, ces mesures peuvent être rendues compliquées par les ondes diffractées par les bords du panneau. La méthode des trois points développée au laboratoire est une technique qui décompose le champ de pression totale en 4 contributions : incidente, réfléchie, transmise et diffractée par les bords. Ces contributions sont déterminées à l’aide de mesures effectuées en trois points. Les coefficients de réflexion et de transmission peuvent ensuite être obtenus en supprimant la contribution des ondes diffractées par les bords [JASA_2020].
Utilisation d‘outils d’optimisation pour la conception d’un revêtement efficace
La furtivité acoustique, ou anéchoïsme, correspond à la capacité d’un système à ne pas renvoyer (rétrodiffuser) d’écho lorsqu’il est soumis à une onde acoustique incidente. Il s’agit d’une fonction essentielle pour les sous-marins militaires, leur permettant d’échapper à la détection par des systèmes Sonars actifs adverses. Pour renforcer leur furtivité, les coques des sous-marins sont habituellement recouvertes de matériaux absorbants.
Même si des absorptions significatives peuvent être obtenues en utilisant des matériaux viscoélastiques simples, des performances supérieures sont accessibles grâce à l’exploitation du concept de métamatériau, c’est-à-dire en rajoutant une structuration artificielle à une échelle inférieure à la longueur d’onde. De nombreuses géométries de structurations étant envisageables, la conception de métamatériaux anéchoïques optimisés est grandement facilitée par l’emploi d’une métaheuristique, telle qu’un algorithme génétique.
Ce type de méthode d’optimisation nécessitant l’évaluation des performances d’un très grand nombre de géométries distinctes, nous avons développé une procédure par étapes pour limiter les temps de calcul. Dans un premier temps, un éventail de structures périodiques est simulé par la méthode des éléments finis et des paramètres matériau effectifs sont extraits de ces simulations. On constitue ainsi une « base de données » de structures élémentaires (cf. Figure 1). Dans un second temps, les propriétés acoustiques de revêtements multi-couches basés sur des assemblages de ces différentes structures sont calculées, en utilisant un modèle analytique de type matrice de transfert. Cette seconde étape étant très rapide, elle peut être répétée pour toutes les configurations envisagées par l’algorithme génétique [JAP_2020]..
Les facteurs de performance considérés pour l’optimisation sont la valeur moyenne et l’écart-type du coefficient d’anéchoïsme CA sur la gamme de fréquences d’intérêt. La minimisation de ces deux paramètres correspond à une augmentation de la furtivité. La Figure 2 présente un exemple de résultat obtenu pour cette optimisation multi-critère. Chaque point représente une configuration évaluée au cours du fonctionnement de l’algorithme génétique. Au fur et à mesure des générations (représentées en couleurs), on constate que les performances tendent à s’améliorer (progression vers la gauche et le bas). Les carrés gris indiquent l’ensemble des meilleures solutions trouvées en dernière génération, dit « front de Pareto ». En parcourant les différentes configurations incluses dans ce front on peut relever des tendances marquées. Ainsi, les deux inserts à droite de la Figure 2 présentent d’une part 10 configurations à fort écart-type et faible valeur moyenne (en haut à droite, avec chaque multi-couche représenté par une ligne à 10 éléments), et d’autre part 10 configurations à faible écart-type et forte valeur moyenne (en bas à droite). Dans ces représentations la couche en contact avec l’eau est située à gauche, et celle en contact avec la coque à droite. On peut remarquer que les configurations à faible valeur moyenne sont très proches de systèmes à gradients de propriétés, la taille des inclusions augmentant de façon quasi-monotone dans l’épaisseur du multi-couche [ROUX_2021].
Étude et développement de solutions pour la discrétion et/ou la furtivité
Dans le domaine de la discrétion acoustique sous-marine et de la furtivité, un problème particulier est lié au rayonnement du bruit ou à la diffraction acoustique des structures métalliques périodiquement raidies. L’objectif est de réduire de manière significative les maxima de pression (représentés par les taches de couleur rouge sur la cartographie de gauche, ci-dessous) issus de la périodicité des raidisseurs et associés à la diffraction de Bragg et au rayonnement des ondes de Bloch-Floquet. Durant le projet ANR Astrid RAMSES (2017-2021), des raidisseurs en forme de T ont été modifiés afin de brouiller le « pattern » associé à la diffraction acoustique. Puis le projet ANR Astrid CLEOPATRE (2022-2024) avait pour objectif de capitaliser sur les développements précédents pour concevoir des géométries plus réalistes et proposer des solutions qui n’impactent pas l’architecture navale mais qui se focalisent sur le traitement des surfaces [JASA_2018] .
Sonification et vibrification
Les “auditory displays” (ou “sonifications”) visent à représenter les données via la modalité perceptive auditive : écouter les données (plutôt que les regarder) a le potentiel de révéler certains aspects qui resteraient indétectables par inspection visuelle (ou par les algorithmes basés sur une approche visuelle), et promet de nouvelles approches et interprétations des données. Notre approche de la sonification est de 1) développer des méthodes de sonification centrées sur les utilisateur·ices (couplage systématique avec des évaluations par les utilisateur·ices, co-conception et co-développement avec les utilisateur·ices), et 2) inclure les techniques de spatialisation sonore ainsi que de visualisation et de vibrification à la conception des sonifications, dans le but de profiter des performances humaines en situation de perception augmentée dans des contextes de réalité augmentée et virtuelle [JASA_2017, JMUI_2021, CMJ_2021].
Les “Auditory displays” peuvent être ainsi et notamment étendus aux “Vibrotactile displays”, c’est-à-dire qu’on peut chercher à représenter les données par des vibrations appliquées sur la peau. En prenant en compte les spécificités de notre perception vibrotactile, il est possible de communiquer plusieurs canaux d’information sur plusieurs endroits du corps, avec ou sans utilisation concurrente des modalités visuelle et auditive. Nos activités de recherche dans ce domaine de la vibrification sont appliquées au contrôle des nouveaux instruments de musique numériques ou acoustiques (par exemple le projet ANR Staccato) et à la conversion entre musique et vibration pour l’amélioration de l’expérience musicale des Sourds (projet TOTEM Fondation de France, Fondation Malakoff Humanis, Interreg) [HAID1_2022, HAID2_2022, IEEETH_2023].
Perception sonore et multimodale
Ce sujet est au carrefour entre l’acoustique, la psychologie et la linguistique. Nous poursuivons les objectifs suivants : a) intégrer au champ disciplinaire de la perception sonore les résultats récents montrant que la perception en contexte “écologique” est par essence multimodale et implique plusieurs modalités sensorielles qui intéragissent d’une manière complexe, b) aller au-delà des expériences de perception restreints à la seule modalité auditive en laboratoire, où les participant·es sont placé·es dans une situation non-réaliste et artificielle.
En conséquence, nos recherches cherchent à découvrir comment l’humain perçoit et interprète le son dans un contexte multimodal (en étudiant notamment les interactions entre les aspects sonore et vibrotactile, parfois même les stimulations gustatives), avec un intérêt particulier pour les approches expérimentales “écologiquement valides”, où les participant·es interagissent avec leur environnement “d’une manière habituelle”. Parmi les méthodes expérimentales privilégiées figurent la tâche de verbalisation libre, où les participant·es parlent librement de leur ressenti/expérience, et la tâche de tri libre, où les participant·es catégorisent librement des stimuli.
Cette direction de recherche trouve des applications en acoustique musicale (par exemple la perception auditive et vibrotactile que la·le guitariste a de son instrument) et l’expérience de vibrotactile dans un contexte de communication (afin de comprendre comment les participant·es peuvent être ou non réceptif·ves aux messages vibrotactiles) [DUB_2021; ActaA2_2022, ActaA_2017, ActaA_2015, FQP_2022].
Ce travail de recherche se focalise sur l’adaptation des méthodes de résolution de problèmes dits NP-Difficiles (i.e. des problèmes qu’il n’est pas possible de résoudre à l’aide d’un algorithme polynomial, c’est-à-dire un algorithme dont le temps de résolution croît de façon polynomiale en fonction de la taille du problème) par des machines quantiques.
Nous avons élaboré de nouvelles méthodes de résolution de ces problèmes, notamment des problèmes d’optimisation, qui se fondent sur les caractéristiques des machines quantiques analogiques telles que celles construites par les sociétés D-Wave et Pasqal. Ces travaux ont conduit à une première collaboration avec la société Pasqal depuis juin 2023, entreprise qui occupe une place centrale dans le plan national quantique.
À court terme, le développement de ces machines devrait permettre de traiter des instances de plus grande taille pour les problèmes déjà étudiés, ainsi que de nouveaux problèmes plus complexes. À plus long terme, grâce à l’expérience acquise et à l’émergence de machines quantiques se rapprochant de plus en plus de l’ordinateur quantique, ces travaux pourraient s’étendre à la modélisation de phénomènes physiques et en particulier à la résolution de problèmes mécaniques à variables continues réelles ou complexes.
Plusieurs problèmes de la Recherche Opérationnelle et de l’Optimisation Combinatoire peuvent déjà être résolus grâce à ces machines, comme c’est le cas pour le RCPSP [Sci. Repo., 2024].Avenue Henri Poincaré
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