C’est avec fairplay et simplicité que Jean-François s’est prêté à l’exercice du portrait, qu’il souhaite le plus objectif possible. En pleine rédaction de l’HDR (Habilitation à Diriger des Recherches), l’occasion est propice pour revenir sur son parcours d’enseignant-chercheur en mettant en lumière certains faits saillants de son histoire, tout en abordant la trajectoire de la recherche en thermoélectricité à l’IEMN.
« Les plus grandes barrières sont souvent dans notre tête, elles n’existent pas vraiment. Il ne faut pas cloisonner les choses dans son esprit, il y a tant d’idées reçues notamment sur la recherche académique et l’industrie ».
C’est le credo qui a toujours guidé Jean-François jusqu’à présent. Cette réflexion fondée sur une conviction personnelle et, on le comprendra, sur des expériences éprouvées, peut bien sûr s’appliquer aux jeunes diplômés ou aux jeunes chercheurs, hésitants quant à leur carrière. Nous pouvons ajouter : « ne pas cloisonner les univers » constitue une source constante d’enrichissement et de partage des connaissances, valeurs primordiales dans la recherche.
Une attirance pour la « belle » Physique
Jean-François a toujours voulu faire de la recherche, avec la Physique comme passion. Le hasard faisant bien les choses, alors qu’il est en classe préparatoire aux écoles d’ingénieurs, il découvre sur une plaquette les programmes du Magistère de Physique fondamentale d’Orsay qui le font rêver : mécanique quantique, physique statistique, électromagnétisme, … Sans hésiter, il fonce et ressort trois ans après, en 2004, avec un double diplôme Master-Magistère ! Il l’a vécu intensément comme « une période très stimulante ».
« Paris-XI est un endroit très spécial, entre les collines arborées sont nichés tant de laboratoires prestigieux … si bien que personne n’en fait une affaire et on ne se rend pas compte tout de suite du très haut niveau de la recherche qui y est menée. » (Jean-François)
Un stage de fin d’études l’oriente durablement vers le vaste champ des micro- et nanotechnologies. Il travaille alors à l’étude et à la caractérisation mécanique de matériaux (métaux, diélectriques, semi-conducteurs) rentrant dans la composition des circuits intégrés notamment en collaboration avec l’industrie micro-électronique (ST Microelectronics). Il en garde le souvenir d’un dispositif expérimental avec « de la belle physique », ce qui lui donne envie de faire une thèse en micro-électronique, sous la direction d’Arnaud Devos, chercheur CNRS à l’ISEN/IEMN. Le sujet, « Picosecond Ultrasonics investigation of the individual and collective vibrations in ordered nanostructures », a permis d’étendre l’utilisation de l’acoustique picoseconde – une méthode de mesure des propriétés élastiques aux très petites échelles de taille – à des nano-objets de formes plus complexes et couplés mécaniquement.
Le tournant de la mobilité thématique
Après sa thèse soutenue en 2008, il envisage un moment de faire un post-doctorat, qui lui sera nécessaire pour mener une carrière de chercheur, mais il préfère le reporter à une période plus opportune. Plutôt que de changer de laboratoire, il change de sujet, opérant « une mobilité thématique » en direction des cristaux phononiques, dans une approche cette fois plus théorique.
Il se forme alors à son nouveau sujet à l’École Centrale de Lille pendant un an auprès d’Olivier Bou Matar dans l’équipe Aiman-Films. Cette équipe est notamment spécialiste des matériaux magnétostrictifs, une propriété couplant le magnétisme et l’acoustique. En 2010, cela débouche sur un article qui est aujourd’hui assez bien repris.
« Avec l’équipe, nous avons proposé un concept d’accordabilité en fréquence via le champ magnétique, donc sans contact, des cristaux phononiques. »
Cette période marque véritablement le début de sa carrière de chercheur, lui fournissant de longues perspectives de recherche. Le travail d’expertise sur les cristaux phononiques porte vite ses fruits puisque Jean-François, part un an (2009-2010) aux États-Unis en tant que Research Associate dans le département de Materials Science and Engineering, spécialisé dans son domaine, en Arizona à l’Université de Tucson. C’est alors l’occasion pour lui de matérialiser cette thématique porteuse sous la forme de plusieurs articles et de se former à l’encadrement de doctorants. Il se remémore une « année très intense et productive, une belle aventure ».
Retour à l’ISEN et projet ERC
En 2010, Jean-François devient enseignant-chercheur permanent à l’ISEN/IEMN et rejoint Emmanuel Dubois dans le groupe Microélectronique Silicium (Microelec Si) de l’IEMN pour développer une activité autour de la récupération d’énergie thermoélectrique.
Jean-François a depuis son séjour aux États-Unis l’intuition qu’« il y a quelque chose à faire avec le thermoélectrique », notamment en utilisant des concepts issus des cristaux phononiques pour rendre plus efficace cette conversion d’énergie. L’approche est nouvelle puisque seuls deux papiers pionniers font état de telles propositions qui ne demandent qu’à être développées.
Jean-François formule alors un projet Starting Grant auprès de l’ERC (European Research Council) qui démarre en 2013. L’idée est d’explorer ce nouveau domaine dont le potentiel de développement est évident mais la faisabilité pas gagnée d’avance ! En effet, il s’agit, ni plus ni moins, de réussir à transformer le silicium en un matériau thermoélectrique, ce qu’il n’est pas naturellement en raison d’une conduction thermique très élevée. Ce projet, très expérimental, nécessitant la fabrication et la caractérisation d’objets s’attaque aussi à des questions très fondamentales. Parallèlement au projet ERC, Jean-François participe au Laboratoire Commun ST Microelectronics/IEMN dans le cadre duquel il encadre régulièrement des thèses Cifre.
Déroulement du projet, retombées et perspectives
L’obtention du projet ERC UPTEG a été un formidable accélérateur pour ses recherches à fort caractère technologique qui a abouti à la réussite d’une génération thermoélectrique par du silicium. Par ailleurs, il a permis d’établir des collaborations fructueuses notamment avec le Centre de Thermique et d’Énergétique de Lyon (CETHIL).
L’IEMN a acquis une expérience dans ce domaine via trois méthodes : électrothermique, thermométrie Raman et microscopie thermique en Champ proche. Le mariage entre les micro-nanotechnologies et le thermique a débouché sur un projet ANR collaboratif TIPTOP pour développer de nouveaux détecteurs sensibles pour la microscopie thermique.
Le bilan du projet ERC, terminé en 2019, est positif : six thèses soutenues, trois post-doctorats financés, une dizaine d’articles publiés et communications orales et cinq conférences invitées, … Cette bonne moisson a permis le démarrage de nouvelles activités. En particulier, Jean-François travaille aujourd’hui sur l’optimisation thermique dans des mémoires non-volatiles à changement de phase (PCRam) toujours dans le cadre du Laboratoire Commun. Par ailleurs, deux projets ANR vont démarrer en 2021, l’un s’intéressant au transport de chaleur dans le régime quantique et l’autre aux transferts thermiques dans les interfaces métal-semiconducteur. De quoi nourrir de nouvelles réflexions aux frontières de plusieurs disciplines …