Un nouveau dispositif dans la lutte contre l’un des cancers pédiatriques les plus agressifs

 

Les gliomes diffus de la ligne médiane (DMG) sont parmi les tumeurs cérébrales pédiatriques les plus agressives et les plus dévastatrices, avec une progression très rapide et mortalité d’environ 98% sur 1 an après le diagnostic. Situés dans des régions profondes et vitales du cerveau, ils sont presque impossibles à enlever chirurgicalement et la radiothérapie, qui n’offre qu’un soulagement temporaire, reste encore le seul traitement standard, plus de cinquante ans après son introduction.

Au cours de la dernière décennie, de nouvelles découvertes sur les facteurs génétiques[1] et épigénétiques[2] de la DMG ont suscité l’espoir de nouvelles thérapies. Les scientifiques ont identifié des mutations spécifiques dans les gènes des histones[3] qui modifient profondément la façon dont les cellules tumorales régulent leur ADN, ce qui suggère que les « épi-médicaments », qui ciblent ces changements épigénétiques, pourraient être prometteurs. Dans des études en laboratoire, plusieurs de ces médicaments ont montré de forts effets antitumoraux. Pourtant, dans les essais cliniques, ils n’ont pas réussi à améliorer la survie des patients.

Pourquoi cet écart ? L’une des principales raisons réside dans la façon dont nous testons les thérapies avant qu’elles n’atteignent les patients. La plupart des modèles précliniques[4] reposent sur des cellules cancéreuses cultivées en 2D sur des surfaces en plastique, dans des conditions très éloignées de l’environnement complexe d’une tumeur réelle. À l’intérieur du cerveau, les cellules tumorales vivent dans une matrice dense et tridimensionnelle de protéines, entourée de gradients d’oxygène[5] et de nutriments. Ces contraintes physiques et chimiques influencent fortement leur croissance, leur résistance au stress et leur réponse aux traitements.


Représentation schématique du DMG-on-Chip


Pour combler cette lacune, dans le cadre d’un travail hautement interdisciplinaire porté par les docteurs Furlan et Meignan de l’institut OncoLille et du centre Oscar-Lambret en collaboration avec l’IEMN et financé par l’INCA, un nouveau modèle « DMG-on-Chip » – un dispositif miniature et transparent qui recrée les caractéristiques essentielles de l’habitat naturel de la tumeur – a été mis au point.

Légendes :

[1] La plupart des cancers sont causés par des changements dans les gènes qui surviennent généralement par hasard et qui ne sont pas nécessairement d’origine héréditaire. Ils sont acquis à un moment donné dans la vie d’une personne. Ces changements génétiques sont appelés mutations sporadiques (spontanées) ou acquises.

[2] L’épigénétique est l’étude des mécanismes biochimiques qui régulent l’expression des gènes sans modifier la séquence d’ADN. En fait, ce n’est pas toujours la séquence qui compte, mais la manière de s’en servir qui importe. Le lien entre épigénétique et cancer provient de dérégulations épigénétiques (acétylation des histones, méthylation de l’ADN, etc) qui par exemple peuvent inactiver des gènes suppresseurs de tumeur, naturellement présents dans le génome.

[3] Protéines de support de l’ADN dans le noyau cellulaire. Chaque brin d’ADN d’env. 50 nanométres est typiquement enroulé en petites « perles » autour d’un bloc de 8 histones, ce qui donne une structure en « fil de perles », la chromatine, à la base de l’organisation structurelle des chromosomes. Cette organisation dense permet de compacter toute la longueur de l’ADN humain, env. 1,5m déplié, dans le noyau cellulaire, un sphéroïde avec diamètre env. 10 micromètres.

[4] Un modèle de cancer est un système induit artificiellement ou naturel qui partage des caractéristiques avec des tumeurs malignes humaines, par exemple des cellules isolées ou des animaux de laboratoire. Les études précliniques visent à déterminer l’efficacité potentielle d’un médicament, d’une procédure ou d’un traitement, et doivent être réalisées avant tout essai sur l’humain (règlementés en France par la Loi 2012-300 du 5 mars 2012 relative aux recherches impliquant la personne humaine, et modifications suivantes).


 


Pour combler cette lacune, un nouveau modèle « DMG-on-Chip » – un dispositif miniature et transparent qui recrée les caractéristiques essentielles de l’habitat naturel de la tumeur – a été mis au point. Dans cette puce micro fluidique,[6] une tumeur 3D est intégrée dans un gel contenant des composants clés de la matrice extracellulaire du cerveau, tels que le collagène, la laminine et l’acide hyaluronique. L’oxygène n’est fourni que par les bords, générant un gradient similaire à ce qui se passe à l’intérieur des tumeurs réelles : des cellules bien oxygénées à la périphérie et des cellules stressées en manque d’oxygène au centre.

Différemment des cultures cellulaires classiques dites « passives », cette configuration permet aux scientifiques de suivre en temps réel comment les cellules tumorales se comportent dans ces conditions réalistes, et de modifier et ajuster en continu les conditions expérimentales. À mesure que les niveaux d’oxygène baissent, les cellules cérébrales ralentissent leur division, recâblent leur métabolisme et activent des programmes génétiques qui les aident à survivre. À l’aide d’analyses d’imagerie et de transcriptomique[7] avancées, les chercheurs ont cartographié ces changements sur la puce et ont découvert les signatures moléculaires du stress et de la résistance qui se produisent en cas d’hypoxie des cellules du cerveau.

 


La plateforme permet également de tester plus précisément les effets des thérapies. En analysant comment les différentes régions de la puce réagissent aux médicaments ou aux radiations, nous avons pu révéler une hétérogénéité spatiale frappante : alors que certaines cellules meurent, d’autres – protégées par leur microenvironnement – survivent et continuent de croître. De telles tendances semblent refléter ce que les cliniciens ont observé chez les patients, et peuvent aider à expliquer pourquoi certains traitements échouent, même lorsqu’ils semblent efficaces dans les tests de laboratoire standard.

L’application immédiate à DMG, l’approche DMG-on-Chip, développé avec l’IEMN représente un changement transformatif dans la recherche sur le cancer : aller vers des modèles plus réalistes et interdisciplinaires qui intègrent la biologie, la physique et l’ingénierie, ainsi que la modélisation mathématique.

En reproduisant fidèlement les conditions biophysiques d’une tumeur, ce modèle pourrait accélérer l’arrivée de traitements plus efficaces pour ces enfants qui, aujourd’hui, n’ont pratiquement aucune option thérapeutique. Plus qu’un simple outil scientifique, DMG-on-Chip pourrait bien devenir un chaînon indispensable entre le laboratoire et le chevet du patient, et contribuer à transformer l’une des maladies les plus tragiques de l’enfance en un champ d’espoir et de progrès.

Légendes :

[5] Le mot « gradient » est la définition mathématique de la variation spatiale d’une grandeur mesurée, dans ce cas la variation (diminution) de la concentration d’oxygène dans les tissus. Une lésion cérébrale hypoxique est une atteinte de certaines parties du cerveau qui résulte d’un apport insuffisant d’oxygène dans la zone concernée. La diminution de l’apport d’oxygène aux tissus, appelée hypoxie, endommage les cellules et peut entraîner leur destruction. 

[6] La dénomination de micro fluidique regroupe l’ensemble des sciences et techniques des systèmes manipulant des fluides dans des circuits fabriqués par impression sur matériaux transparents (permettant l’accès et la visualisation), dont au moins l’une des dimensions caractéristiques est de l’ordre du micromètre. Ces dispositifs permettent de manipuler des quantités de fluides microscopiques (milliardièmes de litre) comparables aux tailles des cellules.

[7] La transcriptomique est une sous-discipline de la génomique consacrée à l’étude du transcriptome, soit l’ensemble des molécules d’ARN (les transcrits) résultant de la transcription de l’ADN comprenant le génome entier d’un organisme. La transcriptomique a vu le jour grâce à l’avènement de techniques d’analyse à haut débit comme les puces à ADN (microarrays) ou plus récemment les séquenceurs d’ADN à haute capacité. La comparaison des transcriptomes permet d’identifier des gènes différentiellement exprimés entre des populations cellulaires distinctes, ou répondant à des traitements différents.