Transistors électrochimiques organiques dendritiques cultivés par électro-polymérisation pour l’ingénierie neuromorphique 3D

A quoi pourrait ressembler l’électronique de demain ? Une possibilité très attractive serait de s’inspirer des systèmes biologiques. Notamment en reproduisant les caractéristiques clefs du cerveau, à la fois en termes de fabrication et de fonctionnement. La possibilité d’organiser des milliards de neurones pour atteindre des systèmes capables de voir, sentir, entendre apparait fascinante et a motivé de récents travaux de chercheurs de l’IEMN, publiés dans les journaux Nature Communications et Advanced Sciences.

Dans le cadre du projet ERC-IONOS, les chercheurs de l’IEMN se sont intéressés à la possibilité de faire croitre des matériaux organiques par électro-polymérisation pulsée pour reproduire les croissances dendritiques à l’origine de la structuration des réseaux de neurones. Cette démonstration permet de reproduire une propriété clef de la biologie : la plasticité structurale. Et l’histoire ne s’arrête pas là, car ces mêmes matériaux dendritiques peuvent également reproduire des éléments de traitement des signaux clefs en biologie tels que la plasticité synaptique et l’intégration dendritique.

La plasticité structurale est le mécanisme permettant aux réseaux neuronaux d’imprimer une topologie 3D spécifique à une expérience multi-sensorielle unique, pour traiter efficacement l’information. Dans les réseaux de neurones artificiels, les topologies restent un espace d’optimisation majeur, tant au niveau software que hardware. En effet, les mécanismes permettant à la biologie de s’auto-organiser et les règles définissant des topologies optimales restent largement incompris et sont abordés de manière empirique dans le monde artificiel. Un aspect différenciant entre biologie et électronique est la possibilité des systèmes biologiques à s’assembler de manière bottom-up (les éléments de base sont définis en premier, la fonction est obtenue dans un deuxième temps), quand l’électronique est largement top-down (les fonctions sont prédéfinies en amont, et les composants organisés pour les reproduire). En utilisant l’électro-polymérisation pulsée du PEDOT:PSS, les chercheurs de l’IEMN ont montré qu’il était possible de contrôler finement la structures de dendrites conductrices dans l’eau.

Les morphologies obtenues peuvent être modifiées en fonction de l’environnement chimique et l’expérience des stress électriques cumulés pour atteindre une variété de morphologies reminiscentes des structures dendritiques neuronales. Cette approche permet alors d’envisager une électronique en perpétuelle évolution structurelle, en perpétuelle mutation, où les concepts de mémoire et d’apprentissage dérivent davantage de la capacité physique d’un réseau à former de nouvelles connections, plutôt que celle de transporter l’information de manière binaire entre composants figés sur un substrat.

La topologie dendritique est loin d’être le seul ingrédient utilisé par la biologie pour traiter les signaux neuronaux : La transmission de l’information dans les réseaux de neurones est pondérée par les synapses qui permettent d’implémenter la fonction clef de l’apprentissage. Les dendrites artificielles des chercheurs de l’IEMN peuvent également être utilisées dans cette perspective : lorsque ces dendrites artificielles s’interconnectent entres elles, ces matériaux se comportent comme de réels composants synaptiques. En effet, le PEDOT:PSS est bien connu pour ses propriétés de conducteur électronique et ionique permettant de coupler le transport de ses deux porteurs de charge (plus précisément les polarons du polymère et les ions solvatés de l’électrolyte). Cette propriété permet d’utiliser le PEDOT:PSS comme transistor organique électrochimique (OECT). Les chercheurs du projet IONOS ont montré que les structures dendritiques obtenues par électro-polymérisation se comportaient comme des OECTs, et pouvaient en conséquence moduler les signaux transmis entre deux neurones artificiels connectés par une fibre organique. Il est alors possible de réaliser les fonctions clefs de la plasticité synaptique telles que la plasticité à court terme (STP) et la plasticité à long terme (LTP).
Cette approche propose un nouveau substrat matériel pour l’implémentation des réseaux de neurones artificiels et ouvre des perspectives nouvelles, tant au niveau des sciences de l’ingénierie et des systèmes que des sciences de l’information.

[1] Analog programing of conducting-polymer dendritic interconnections and control of their morphology
Kamila Janzakova, Ankush Kumar, Mahdi Ghazal, Anna Susloparova, Yannick Coffinier, Fabien Alibart & Sébastien Pecqueur, Nature Communications volume 12, 6898 (2021)

[2] Dendritic Organic Electrochemical Transistors Grown by Electropolymerization for 3D Neuromorphic Engineering
Kamila Janzakova, Mahdi Ghazal, Ankush Kumar, Yannick Coffinier, Sébastien Pecqueur, Fabien Alibart, Advanced Sciences, online 29 October 2021