Les va-et-vient d’un mur liquide

L’impact d’un jet d’eau vertical sur une surface horizontale est une expérience que nous réalisons dès que nous ouvrons le robinet de notre cuisine. Au fond de l’évier, on peut observer un mur liquide plus ou moins circulaire séparant deux zones distinctes : une zone interne mince et une zone externe plus épaisse. Ce mur liquide qu’on appelle le ressaut hydraulique circulaire, intrigue depuis Léonard de Vinci et reste un sujet d’actualité et d’étude. Dans un article récent, nous avons mis en évidence un nouvel aspect de ce ressaut : dans certaines conditions, celui-ci peut se mettre à osciller spontanément, s’ouvrant et se fermant périodiquement, alors que le jet est stationnaire.

Durant des siècles, « natura non facit saltus » (la nature ne fait pas de saut) a été un principe directeur en philosophie et en physique. Nous savons aujourd’hui que ce principe n’est pas toujours valable, mais il est toujours intéressant d’observer et comprendre les cas où ce principe ne s’applique pas. En particulier, on ne s’attend pas à ce que les fluides soient des systèmes où l’on trouve des sauts discontinus, mais en réalité on trouve parmi les écoulements à surface libre de magnifiques phénomènes qui en apparence violent le principe naturel de continuité.

Le ressaut hydraulique en est un exemple édifiant, c’est pourquoi de très nombreux travaux ont cherché à le comprendre depuis plusieurs siècles. Malgré ces efforts, il n’existe toujours pas de modèle simple et consensuel permettant de décrire complétement le ressaut. Toutefois, toutes les théories et expériences jusqu’à présent s’accordaient sur le fait que le ressaut circulaire était un objet stationnaire.

Nous avons récemment montré que ce n’était pas toujours le cas. En effet, si l’on fait impacter un jet sub-millimétrique d’eau au centre d’un disque de Plexiglas, on peut observer des oscillations spontanées du ressaut.

Cette dynamique peut s’expliquer par l’émission d’ondes de gravité (vagues) par le ressaut qui se réfléchissent au bord du disque, formant ainsi une « cavité de résonnance » (de la même manière que le son résonne dans le corps d’une guitare). La cavité de résonnance sélectionne une fréquence de ces ondes de gravité, qui, du fait des variations de hauteur, vont fermer et ouvrir le ressaut périodiquement. Ce couplage peut même permettre de synchroniser des ressauts distants qui oscillent en opposition de phase s’ils sont placés là où les variations de la hauteur d’eau sont maximales.

Ce nouveau phénomène ouvre de nouvelles perspectives pour l’étude transitoire du ressaut et de son interaction avec les ondes de gravité, mais aussi, par analogie, à d’autres domaines allant des ondes de chocs acoustiques (mur du son) à l’astrophysique où il est utilisé comme analogue aux trous blancs.

Cependant, notre recherche n’est pas seulement fondamentale, l’impact de jets joue également un rôle fondamental dans les processus de refroidissement et de nettoyage de surface. Les oscillations du ressaut sont ainsi susceptibles de modifier largement les transferts thermiques et mécaniques en jeu, et donc avoir un véritable impact sur l’efficacité de ces processus.


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