Des membranes suspendues usinées par ablation laser pour booster les performances des circuits radiofréquences

Pilotée depuis les années 70 par la miniaturisation monolithique des transistors (ère ‘More-Moore’), puis consolidée par le second souffle des microsystèmes au milieu des années 90 (ère ‘More-than-Moore’), l’industrie de l’électronique fait face aujourd’hui à un nouveau défi, celui des systèmes autonomes, fonctionnels et miniaturisés, donnant naissance au paradigme ‘System Moore’.
Dans ce contexte, l’usinage laser complète le portfolio des procédés de microstructuration en occupant le gap dimensionnel de l’usinage entre le micron et le millimètre que les procédés microélectroniques laissent vacant. Cette étude expérimentale montre comment l’ablation laser permet de suspendre des puces électroniques radiofréquences en membranes ultrafines, leur conférant ainsi des gains de performances électriques exceptionnels.


Arun Bhaskar, Justine Philippe, Flavie Braud, Etienne Okada, Vanessa Avramovic, Jean-Francois Robillard, Cedric Durand, Daniel Gloria, Christophe Gaquiere, and Emmanuel Dubois, Large-area femtosecond laser milling of silicon employing trench analysis, OPTICSAND LASER TECHNOLOGY 138 (2021).

L’usinage laser comble le gap µm-mm.
Les systèmes ultra compacts, tels que les ‘smartphones’ ou les ‘smartwatches’ intègrent une kyrielle de composants et capteurs couvrant des dizaines de fonctions de communication, de traitement de signal et de détection. Ces composants sont, dans la majorité des cas, issus de technologies dissemblables nécessitant un assemblage hétérogène. Le vocable ‘System Moore’ désigne ce nouveau paradigme d’intégration ultra compacte des systèmes électroniques. Il place le packaging au centre des enjeux, non plus comme une simple fonction d’encapsulation, mais comme une composante fonctionnelle. Il met en œuvre des dimensions s’étendant du micron au millimètre où existe un gap technologique et économique. D’une part, les technologies planaires de la microélectronique sont onéreuses, surdimensionnées et inapte à traiter l’épaisseur des matériaux. À l’opposé, les méthodes classiques de formage et d’usinage de la matière atteignent leurs limites en deçà du millimètre. Dans ce contexte, le micro-usinage laser complète le portfolio des procédés de microstructuration de la microélectronique en occupant le gap ‘µm-mm’. Cette étude expérimentale montre comment l’ablation laser permet l’usinage en face arrière de puces radiofréquences dont la suspension en membrane d’épaisseur ultime permet de réduire les pertes et les effets non linéaires associés au substrat porteur de silicium. Mise en œuvre après l’achèvement complet du flot de fabrication des circuits CMOS monolithiques, ce procédé laser entre pleinement dans une logique de packaging fonctionnel.

Des membranes suspendues qui boostent les performances RF 
La littérature rapporte de nouveaux cas d’usage des techniques de micro-usinage femtoseconde du silicium pour diverses applications comme la microfluidique, le photovoltaïque, la caractérisation des circuits intégrés, le conditionnement de surfaces hydrophobes et la découpe au laser de puces microélectroniques sans gaspillage de surface active. Dans le cas présent, l’application a concerné la fabrication de membranes suspendues de circuits/fonctions RF SOI-CMOS sur des substrats SOI (Silicon-on-Insulator). Du point de vue électrique, malgré la présence d’une couche isolante (BOX), le substrat porteur dégrade les performances électriques car il offre un chemin de couplage parasite aux signaux RF. En retirant localement le substrat porteur sous la zone active des circuits sensibles, ceux-ci peuvent être suspendus sous la forme d’une membrane.

À cet endroit, l’épaisseur de la couche active est ultime, ne conservant que le strict nécessaire pour préserver la fonction électronique initiale, à savoir, les couches actives du transistor et de son réseau d’interconnexion. La motivation pour un tel procédé de membranes a été d’obtenir des performances RF fortement améliorées par la réduction des pertes dissipatives, la réduction des non-linéarités induites par le substrat et une réduction du couplage capacitif parasite dans le composant ou entre composants (diaphonie). Ces trois facteurs d’amélioration ont un impact de premier plan sur le front-end des systèmes de communication mobiles pour lesquels des spécifications de plus en plus exigeantes pèsent avec l’extension des bandes de fréquences jusqu’à 6 GHz et dans le millimétrique (24-48 GHz).

D’un point de vue technologique, une étape préalable d’optimisation du procédé d’usinage laser a été mise en œuvre afin d’obtenir un contrôle précis du volume de matière enlevée. C’est l’objet spécifique de l’article référencé dans ce commentaire. La stratégie a consisté à étudier systématiquement cinq paramètres caractérisant les propriétés d’une tranchée structurée par un balayage de spot laser, à savoir, sa profondeur, sa largeur, sa rugosité ainsi que la vitesse volumique d’enlèvement de matière et le volume de résidus redéposés. D’un point de vue fondamental, les travaux ont permis de mettre en exergue deux régimes d’ablation, doux et fort, en fonction de la fluence (énergie par unité de surface) du faisceau laser (Fig.1). La cadence de tir laser constitue un autre paramètre dont l’impact est prépondérant. Il a ainsi été démontré qu’à fluence identique une fréquence de tir élevée (f=200kHz) nuit à l’efficacité d’ablation et à la qualité d’usinage par rapport à une fréquence réduite (f=30kHz). L’explication de ce phénomène tient au fait que les éjectas de matière perturbent le faisceau incident à cadence élevée (Fig.2). Les membranes suspendues associées à différents circuits RF sont présentées en Fig.3. Les gains de performances sont résumés en Table 1 en référence à un substrat silicium haute résistivité. Parmi les résultats de tout premier ordre, on peut noter une réjection améliorée de ~23 et ~8 dB du niveau de signal parasite des harmoniques 2 et 3. Un quasi-doublement du facteur de qualité (Q) est observé pour les inductances à simple enroulement. L’amélioration du facteur de qualité dans ces proportions présente un intérêt de premier plan pour les amplificateurs faible bruit (LNA) dont le facteur de bruit et la linéarité (IIP3), deux figures de mérite particulièrement difficiles à faire progresser, démontrent une bonification de 0,1 dB et 0,5 dB, respectivement.


Fig.1 : Profondeur moyenne de tranchées usinées par balayage laser dans l’infrarouge (1030nm) en fonction de la fluence pour différentes vitesses de balayage et deux cadences de tir (gauche) frep=30 kHz et (droite) frep=200 kHz.  Les lignes en pointillés mettent en évidence les deux régimes d’ablation ainsi que l’énergie de seuil.

Fig. 2 : Largeur de tranchées usinées par balayage laser dans l’infrarouge (1030nm) en fonction de la fluence pour différentes vitesses de balayage et deux cadences de tir (gauche) frep=30 kHz et (droite) frep=200 kHz. Une cadence élevée de tir dégrade l’ouverture de tranchée à forte fluence à cause de l’interaction entre les éjectas de matière et le faisceau incident.


Fig. 3 : Images de microscopie optique de membranes suspendues par usinage en face arrière du substrat de silicium. Les clichés sont obtenus en mode de transparence par rétroéclairage des membranes (a) Structure d’isolation (b) Inductance (c) Commutateur RF.