Sabine Szunerits (médaille d’argent CNRS) n’aime pas trop faire parler d’elle mais l’actualité la rattrape. Cette chercheuse sympathique, débordant d’énergie, préfère insister sur le fait que la réussite actuelle des projets CorDial-I et CorDial-S est avant tout le fruit d’un travail d’équipe récompensé.
La vocation de Sabine a connu quelques aléas qui n’ont pas entamé sa détermination. Elle veut devenir médecin mais au moment de s’engager dans les études, sa mère lui refuse cette voie. Elle obtempère mais s’inscrit dans un domaine approchant, en fac de pharmacie. D’emblée, c’est mitigé : l’amphi est plein à craquer et elle ne voit que des filles entre elles. Ni une ni deux, elle traverse la rue d’en face et « tombe » sur l’amphi de chimie. Il y a moins de monde et l’atmosphère lui paraît « plus cool ». Dorénavant, la chimie devient sa « discipline de cœur », avec le rêve de travailler dans un laboratoire.
Son rêve se réalise il y a quinze ans. Un PhD en poche de l’University of London, elle arrive à Grenoble en délégation CNRS pour occuper un poste de Professeur des universités à l’Institut polytechnique (INP) et se forme au diagnostic. En 2010, à la faveur d’un échange de poste : elle intègre l’IEMN pour travailler à l’hôtel à projets IRI (Institut de Recherche Interdisciplinaire) aux côtés de biologistes et de physiciens. Progressivement, elle se tourne vers une utilisation thérapeutique de nanostructures pour inhiber la formation de biofilms bactériens à l’origine de certaines infections. Découvrir d’autres domaines ne lui fait pas peur. C’est la nature même de la recherche :
« Il faut sentir jusqu’où tu prends les risques. Tu ne trouves rien sans risques. Tu sais que le projet va marcher mais pour avoir des résultats plus intéressants, tu ajoutes des risques. Le risque est corrélé au temps investi et à l’argent dont tu disposes. »
Le Covid a poussé Sabine à refaire du diagnostic : « dans la vie, il faut saisir les opportunités : chacune t’amène quelque part. Un jour, peut-être tu retournes aux fondements ».
Les opportunités lui ont permis de se positionner sur le double front de la thérapie et du diagnostique ; pour traiter le diabète : dans la délivrance des médicaments à travers la peau et, dans la recherche d’un couplage avec des capteurs pour mesurer le glucose. De la théranostique aux projets CorDial, il n’y a qu’un pas …
Les deux projets CorDial sont nés de l’urgence liée à l’apparition du Covid-19 et d’une synergie de plusieurs acteurs.
La recherche sur les coronavirus impulsée par Jean Dubuisson et Karin Seron (Centre d’Infection et d’Immunité de Lille-Institut Pasteur) dans le projet ANR-2018 NanoMERS dédié à l’utilisation de nanoparticules pour inhiber les interactions MERS-cellule, s’oriente vers la détection de SARS-CoV-2. Sabine et Rabah Boukherroub (chef d’équipe NBI) trouvent alors des partenaires qui veulent s’investir dans cette course contre la montre : Alain Roussel du Laboratoire CNRS d’Interactions Hôte-Pathogènes, à Marseille (plateforme Nanobodies), pour mettre au point des capteurs et David Devos neurologue au CHU de Lille, pour le protocole clinique.
« Chaque discipline se complète bien. Dans la recherche, on n’arrive pas à travailler sans les autres. On était prêts à foncer ; on a travaillé comme des dingues ! »
Grâce à ce travail d’équipe efficace, le dossier pour le CorDial-I est rapidement retenu par la Task force I-ISITE-Université Lille Nord Europe, destinée à organiser les actions de recherche sur le Covid. À partir d’avril 2020, une collecte d’échantillons se met en place, dessinant une véritable chaîne humaine et scientifique. L’équipe lilloise reçoit rapidement des échantillons de Marseille et au bout de six semaines, les premiers résultats apparaissent : l’électrode a bien répondu à la détection de la protéine Spike – qui s’accroche à la cellule humaine pour l’infecter – et les essais cliniques pour les pré-tests sont très encourageants. S’enchaînent alors la rédaction d’un brevet et la maturation du projet par la Satt Nord (en co-maturation avec la Satt Sud-Est), avec un budget alloué sur deux ans.
En juillet, les premiers tests probants ont lieu avec des échantillons de vrais virus de l’hôpital. À la même période, dans le cadre du programme-cadre européen Horizon 2020, Sabine contacte Ibrahim Abdulhalim, (PDG de PhotonicSys, une entreprise israélienne) qui travaille sur une version portable de la SPR (Surface Plamonic Resonance) pour mettre en place des tests. Normalement pour la SPR, on utilise des grosses machines mais là c’est une version light de moins de 1 kg, tenant presque sur une feuille A4, qu’on peut transporter.
Résultat : un dispositif peu coûteux, portable, qui mesure 6 à 8 échantillons simultanément pour des résultats fiables en 30 mn !
La création d’une startup CorDial-IT (Intelligence Technology) sur le site d’Eurasanté est prévue en 2021, avec l’aide de Quentin Pagneux, ancien stagiaire en Master de Sabine, actuellement impliqué dans le projet NanoMERS. La startup va permettre d’élargir l’élaboration de capteurs à d’autres virus comme la grippe et de concevoir des biomarqueurs dans le sang pour détecter des problèmes neurodégénératifs liés à la maladie d’Alzheimer. Et cela avec le même trio de chercheurs : on ne change pas une équipe qui gagne !
Léa Rosselle, en 3e année de doctorat, bénéficie d’une thèse Cifre financée par la startup TissueAegis à Paris, spécialisée dans le transport de cornées pour des greffes. Jeune femme douce et discrète, elle sait néanmoins ce qu’elle veut, comme l’explique Sabine Szunerits, sa directrice de thèse : « elle a attendu patiemment plusieurs mois après une thèse Cifre pour pouvoir travailler en R&D. » Titulaire d’un Master en Biotechnologies, Léa a effectué des stages en France mais aussi en Suède et en Norvège, en biochimie et biologie cellulaire. « En master, Sabine m’a fait découvrir les nanomatériaux et leurs applications en médecine. Ces cours m’ont ouvert beaucoup de perspectives. »
Son sujet de thèse porte sur un domaine biomédical : « la livraison transdermique de médicaments à la demande pour le traitement des infections des plaies chroniques. » Ayant à cœur de s’enrichir du croisement de la chimie et de la biologie, notre doctorante déploie ses travaux de recherche sur deux champs d’action.
La conception de pansements qui soignent. La livraison transdermique par des patchs apporte des bénéfices localement sans que le traitement ne passe dans le système digestif ni que le protocole soit invasif. Les patchs, plus évolués qu’un simple pansement, stimulent les mécanismes de cicatrisation et permettent d’attaquer le bouclier bactérien.
Tester l’efficacité des pansements. Des tests de cytotoxicité cellulaires et des pré-tests ex vivo sont réalisés à l’aide d’expérimentations biologiques qui miment les conditions cliniques de la cicatrisation. Comme il est difficile de trouver des modèles de laboratoire adaptés pour tester les patchs car le processus de cicatrisation varie selon les mammifères, les tests s’effectuent sur de la peau humaine recueillie en hôpital.
« Il y a encore une certaine méconnaissance de l’utilisation des déchets hospitaliers pour la recherche. Or, les plaies chroniques posent de gros problèmes de santé impliquant une lourde prise en charge. Par ailleurs, le diagnostic posé sur le degré de gravité des plaies chroniques reste encore souvent subjectif. À l’avenir, on pourrait imaginer un pansement intelligent qui connecterait toutes les disciplines ».
Une perspective stimulante pour notre doctorante dont le regard pétille ! Léa est très investie dans son travail comme en témoigne Sabine : « c’est un grand plaisir de travailler avec elle, aussi bien dans les échanges sur les projets de recherche que dans la tenue des protocoles ». Mais, comme toute personne passionnée, notre jeune chercheuse est consciente de ses petites lacunes mais se donne des défis pour les dépasser. Ainsi, en 2020, la présentation de sa « thèse en 180 secondes » lui a permis de remporter le 2e prix à la finale régionale de ce concours qui a lieu chaque année. Pour sa directrice de thèse, « Léa est très indépendante et capable d’amener du progrès dans son travail car elle sait évaluer et maîtriser les risques qu’elle entreprend ». Des atouts indéniables pour la recherche !
Rédaction : Karine Perrot (service Éditions-Communication-Multimédias de l’IEMN)