Eugène Constant : un guide pour l’IEMN
Georges Salmer (directeur de l’IEMN, 1998-2002) se remémore sa première rencontre avec Eugène :
« il m’avait accueilli avec un grand sourire, occupé à préparer le thé du labo, sa blouse pleine de trous et de taches brunes, à cause de l’acide dont il étudiait les solutions pour sa thèse. Par la suite, il m’a guidé de façon décisive pour ma thèse et je lui en garde une très grande reconnaissance. »
Ce portrait vivace et émouvant de l’un des fondateurs de l’IEMN, fait apparaître trois facettes essentielles du personnage : l’homme chaleureux et fédérateur alors jeune assistant, le chercheur passionné d’expériences, et celui qu’on peut appeler le « guide ».
Un grand patron de laboratoire
Premier directeur de l’IEMN, Eugène Constant a laissé une empreinte durable dans sa manière de diriger l’Institut. Le soutien apporté aux différentes catégories de personnel créait l’adhésion de tous à ses idées et ses projets et de la reconnaissance pour les postes obtenus grâce à sa détermination.
« Son bureau nous était toujours ouvert », se rappelle Georges. Assurément, son ouverture et sa disponibilité l’ont prédisposé à exercer un management de proximité. Ayant l’esprit d’entreprise, il possédait les qualités d’un grand patron, un brin paternaliste.
Les termes qui reviennent dans la bouche de ceux qui l’ont côtoyé sont « créateur, rassembleur, catalyseur ». Il savait entraîner, écouter, convaincre et décider pour constituer une équipe autour d’un objectif commun. Ses qualités d’entraîneur allaient même bien au-delà de la sphère strictement professionnelle, comme le montre cette péripétie rapportée par Georges :
« il avait réussi en 1978, à entraîner une vingtaine d’entre nous, dans sa seconde patrie, l’Oisans (massif français des Alpes), pour un tour mémorable de huit jours en famille, ponctué de coups de fatigue et de feux de camp dans la neige ! »
Un scientifique passionné et un universitaire remarquable
L’image de l’étudiant radieux fait ressortir le scientifique passionné et stimulant. Sa thèse de doctorat, consacrée à la dynamique moléculaire dans les liquides polaires, comportait des expériences très novatrices en spectrométrie microondes. À cette époque, Eugène faisait des conférences sur la conquête spatiale. Ses collègues le décrivent comme un expérimentateur imaginatif :
« dans les années 60, il avait monté avec Yves Leroy, une expérience astucieuse décisive de spectrométrie infrarouge avec une lampe à bronzer et des papiers filtre. » Préoccupé des applications grand public, il a ouvert la voie à la thermographie micro-onde qui sera développée par une startup de Villeneuve d’Ascq pour des applications à la sécurité. »
En outre, le chercheur brillant était aussi un grand professeur très apprécié de ses étudiants et jeunes collègues. Il avait ainsi le pouvoir remarquable de transmettre le sens physique des phénomènes étudiés même lorsque ceux-ci se cachaient derrière des équations complexes :
« il sortait de ses cours la blouse et les cheveux maculés de craie, mais ses étudiants avaient tout compris », se souvient Georges.
Son audience était telle qu’un jour, rapporte Georges, « un spécialiste des nanocomposants, n’a-t-il pas déclaré devant une délégation de chercheurs français visitant le centre de recherches d’IBM aux Etats-Unis, qu’il devait sa vocation à une conférence donnée par Eugène Constant lors d’un séminaire de l’OTAN ! »
Un guide pour l’IEMN
La trajectoire de l’IEMN doit beaucoup à celui qui va progressivement en esquisser l’architecture. Il crée sa propre équipe en 65-66, puis œuvre à la mise en place de structures associées au CNRS : une Équipe puis un Laboratoire associés en 1971 et 1974 qui aboutiront à la création de notre unité mixte en 1992, fruit du regroupement du Laboratoire d’Opto-Acousto-Électronique de Valenciennes, de l’Institut Supérieur d’Électronique du Nord (ISEN) et du Centre Hyperfréquences et Semiconducteurs (CHS), à l’initiative de la fusion.
À partir de là, l’histoire de l’Institut et l’ambition visionnaire d’Eugène vont converger. Son intuition et ses capacités d’entreprendre vont impulser deux mouvements déterminants pour l’IEMN. D’une part, il développe des relations suivies avec l’industrie régionale. Georges témoigne :
« Eugène a été précurseur quant à l’ouverture de l’université sur le monde économique, travaillant dès les années 60 avec les constructeurs de composants français électroniques LTT et Thomson ».
D’autre part, il s’emploie à accroître l’autonomie du laboratoire. Dès les années 80, Eugène se fixe comme objectif le développement et la maîtrise de l’ensemble de la chaîne de compétences allant des matériaux, composants et systèmes microélectroniques, jusqu’à la métrologie et la caractérisation. L’autonomie gagnée par la fabrication d’objets d’études, aura un fort impact sur le développement de nombreux projets de recherche à l’IEMN.
Pour Alain Cappy (directeur de l’IEMN, 2002-2010) :
« Eugène Constant a été un modèle pour une génération de chercheurs. Scientifique de haut niveau et accessible, il suscitait beaucoup d’admiration dans la communauté des chercheurs en physique et en technologie ».
Grâce à lui, l’IEMN a bénéficié d’une impulsion créatrice dont les ondes se font encore sentir. Il a contribué à l’expansion de la recherche en cultivant le potentiel humain et scientifique. Gageons qu’il continuera à éclairer notre avenir de son intelligence, son imagination et son optimisme permanent.