Sonder les très hautes fréquences au cœur même du silicium
Découvrez une sonde de mesure électronique d’un nouveau genre, intégrant directement une source de bruit miniaturisée au plus près des pointes de contact. L’objectif est simple mais la réalité épineuse : caractériser le bruit, directement sur les tranches de silicium (wafers), des transistors et circuits BiCMOS parmi les plus performants, jusqu’à la bande G des ondes millimétriques (140–220 GHz). Faute de solutions adaptées sur le marché, une source de bruit amplifiée a été conçue sur mesure, ajustable en puissance, large bande, et réalisée dans la même technologie que les composants mesurés. Une approche originale qui ouvre la voie à des tests plus précis, plus rapides et aux technologies de sondes de mesure actives.
Une sonde de mesure intelligente pour les très hautes fréquences : quand la source de bruit entre dans la sonde
À l’heure où les systèmes de communication, de radar et d’imagerie progressent vers le haut du spectre des ondes millimétriques, les technologies microélectroniques doivent repousser leurs propres limites. Concevoir un circuit capable de fonctionner à 170, 200 ou 220 GHz est une chose. Être capable de le mesurer de manière fiable en est une autre, tout aussi critique. Sans caractérisation précise, pas de modèles de simulation, pas d’applications robustes. C’est précisément à ce verrou technologique que s’attaque ce projet(1) mené au sein du laboratoire commun ST-IEMN(2) : intégrer une source de bruit directement dans la sonde de mesure, au plus près des pointes de contact avec le silicium.
Pourquoi le bruit est-il un outil de mesure ?
En électronique hyperfréquence, le bruit n’est pas seulement une nuisance : c’est un signal de référence. Les ingénieurs l’utilisent pour déterminer des paramètres clés tels que la figure de bruit, qui permet d’évaluer la dégradation du signal par un composant (transistor, amplificateur, mélangeur…). À très haute fréquence, ces paramètres conditionnent directement la qualité d’un radar automobile, la portée d’un lien sans fil ou la sensibilité d’un capteur d’imagerie. Or, dans la bande G (140–220 GHz), il n’existe quasiment pas de sources de bruit commerciales adaptées sur le marché : elles sont coûteuses, peu pilotables, rarement plates en fréquence, et surtout difficiles à interfacer avec des bancs de mesure dédiés à la mesure sur tranche. Résultat : caractériser un transistor de dernière génération devient parfois plus compliqué que le concevoir.
Une avancée décisive : rapprocher l’instrument du dispositif
Jusqu’à présent, deux grandes approches coexistaient. La première consistait à intégrer l’instrumentation de test directement dans la puce à mesurer (autotest intégré, ou BIST). Efficace, mais coûteuse en surface silicium, et surtout inutilisable pour une autre technologie que celle dans laquelle elle est fabriquée. La seconde reposait sur des équipements externes reliés par des guides d’ondes et des transitions… autant de sources de pertes, de réflexions et d’incertitudes. L’innovation introduite ici est radicale : placer la source de bruit dans la sonde de mesure elle-même . On ne teste plus un composant ‘à distance’, mais avec un instrument quasi collé à ses contacts terminaux. Cette approche inaugure la notion de sondeintelligente , capable non seulement de contacter un circuit, mais aussi de produire le spectre de bruit nécessaires à sa caractérisation.
Une source de bruit innovante… dans la même technologie que les circuits testés
L’un des choix novateurs du projet est d’avoir conçu cette source de bruit dans la même technologie que les composants à mesurer : la technologie BiCMOS B55X de STMicroelectronics (ST), capable d’atteindre des fréquences de coupure supérieures à 400 GHz. Les résultats sont probants : en configuration packagée, des niveaux de bruit en excès ajustables jusqu’à 29 dB sont obtenus entre 140 et 170 GHz, avec une adaptation d’impédance meilleure que –12 dB sur toute la bande. Autrement dit : la source de bruit est puissante, contrôlable et bien adaptée, là où le marché est silencieux.
L’autre innovation clé : des pointes de sonde réinventées
Une mesure de haute précision ne dépend pas seulement de l’électronique, mais aussi de la mécanique. À 200 GHz, une pointe de sonde mal alignée ou trop fragile devient un facteur limitant. D’où le développement de nouvelles sondes Ground-Signal-Ground fabriquées par micro-usinage laser femtoseconde. Réalisées à partir d’un substrat de verre Schott AF32 recouvert de nickel, ces pointes affichent une résistance électrique de contact remarquablement faible (0,05 ohm) et une robustesse mécanique inégalée : elles supportent des forces plus de trois fois supérieures à celle nécessaire pour assurer un contact électrique de qualité. Ce progrès est décisif pour fiabiliser des milliers de contacts successifs en environnement industriel ou en laboratoire.
Un interposeur en verre pour réduire les pertes
Dernière pièce du puzzle : l’utilisation d’un interposeur en verre pour intégrer la puce ‘source de bruit’ au plus près des pointes. Le verre présente de faibles pertes diélectriques à très haute fréquence, limitant l’atténuation et les distorsions du signal. Grâce au micro-usinage laser, les interconnexions sont réalisées avec une précision micrométrique, simplifiant le chemin de propagation du signal et réduisant drastiquement les transitions parasites.
Des bénéfices bien au-delà du laboratoire
Ce travail dépasse largement la performance d’un montage expérimental. Il propose un nouveau modèle d’instrumentation pour les technologies millimétriques : plus compact, plus proche du composant, plus universel. Pour un industriel, cela signifie des coûts de test réduits, une montée en maturité technologique plus rapide, et une meilleure fiabilité des produits finaux. Pour un chercheur, c’est l’accès à des mesures extrêmement ardues à mettre en œuvre hier encore. En rapprochant l’instrument du silicium jusqu’à l’extrême limite physique, cette ‘sonde intelligente’ dote le geste instrumental d’une révolution méthodologique.
Références
(1) Maya Alawar, Sylvie Lepilliet, Victor Fiorese, Sylvie Lépilliet, Daniel Gloria, Guillaume Ducournau, Emmanuel Dubois, ‘Toward smart probes for mmW on-wafer measurements: advanced packaging using laser micromachining of glass’, IEEE Transactions on Microwave Theory and Techniques, vol. 73, no. 11, pp. 8544-8555, Nov. 2025, doi: 10.1109/TMTT.2025.3595651
https://hal.science/hal-05214588 – https://dx.doi.org/10.1109/TMTT.2025.3595651
(2) Laboratoire Commun ST-IEMN – www.cnrs.fr/fr/actualite/laboratoire-commun-st-iemn-pascal-ancey-plus-de- vingt-ans-de-collaboration-dans-le Sonde de mesure GSG active incorporant une source de bruit en bande G (140-220 GHz) pour la mesure sur tranche






