Quand les matériaux cèdent : comment la chaleur et le hasard influencent fissures et adhésion.
Deux articles scientifiques résultant d’une collaboration franco-italienne jettent un nouvel éclairage sur les phénomènes fondamentaux de l’adhésion et de la rupture, deux processus apparemment distincts mais intimement liés. Tous deux sont en fait fortement influencés par les minuscules mouvements aléatoires des atomes, connus sous le nom de fluctuations thermiques.
Pourquoi certains matériaux tiennent bon alors que d’autres se fissurent ou se décollent soudainement ? Cette question en apparence simple cache une physique bien plus subtile, où la chaleur et le désordre jouent souvent les premiers rôles.
La première étude s’intéresse à l’adhésion — cette force discrète qui permet aux surfaces de rester collées. Un gecko qui marche au plafond, un post-it qui tient sur un mur : derrière ces gestes anodins se cache un phénomène complexe. Les chercheurs ont développé un modèle mathématique qui relie les forces microscopiques entre molécules au comportement global du matériau. Et ils ont découvert qu’un simple changement de température pouvait provoquer un décrochage brutal de l’adhésion, comme une colle qui ne fonctionne plus lorsqu’il fait chaud.
La deuxième étude explore les fractures — la manière dont les fissures naissent et se propagent. Contrairement à ce que l’on croit, les matériaux ne cassent pas seulement sous une forte contrainte. Des vibrations thermiques apparemment inoffensives peuvent suffire à déclencher une fissure, qui ensuite se développe de façon inattendue, sous l’effet du hasard.
Ce qui relie ces deux travaux, c’est une approche multi-échelle : une méthode théorique qui relie l’univers chaotique des atomes aux propriétés visibles des matériaux réels. Dans les deux cas, les chercheurs ont mis en évidence des transitions de phase — des changements soudains d’un état à un autre (comme passer de collé à décollé, ou d’intact à fissuré), provoqués non seulement par la force, mais aussi par le désordre thermique. Ces transitions expliquent comment un matériau peut changer brutalement de comportement, même dans des conditions apparemment calmes.
Cette compréhension plus fine ne sert pas qu’à expliquer les défaillances : elle permet d’envisager des matériaux plus fiables et mieux conçus.
Ces recherches ouvrent de nombreuses perspectives :
En sciences des matériaux : Mieux appréhender la fracture pour concevoir des matériaux plus résistants et durables (aéronautique, électronique, infrastructures).
En nanotechnologie : Contrôler précisément l’adhésion et la rupture pour créer des nanomachines et capteurs performants.
En énergie et environnement : Développer des matériaux capables de s’auto-réparer ou de s’adapter aux conditions changeantes.
Car renforcer un matériau, ce n’est pas toujours ajouter de la matière : c’est parfois mieux écouter les murmures du désordre.
Un pont entre pays et disciplines : ce travail illustre parfaitement la collaboration franco-italienne, combinant physique, ingénierie et mathématiques appliquées. Il marque une avancée dans la maîtrise des forces invisibles qui gouvernent la solidité et la durabilité des matériaux essentiels à notre quotidien.
1) Claudia Binetti, Andrea Cannizzo, Giuseppe Florio, Nicola M. Pugno, Giuseppe Puglisi, and Stefano Giordano, « Exploring the impact of thermal fluctuations on continuous models of adhesion », International Journal of Engineering Science 208 (2025) 104194, DOI: 10.1016/j.ijengsci.2024.104194.
2) Claudia Binetti, Giuseppe Florio, Nicola M. Pugno, Stefano Giordano, and Giuseppe Puglisi, « Thermal fluctuations effects on crack nucleation and propagation », Journal of the Mechanics and Physics of Solids 201 (2025) 106157, DOI: 10.1016/j.jmps.2025.106157.
Stefano.Giordanouniv-lille.fr