Perception des changements d’intensité sonore induits par un cristal phononique dans des bandes de fréquences spécifiques
Les cristaux phononiques sont des matériaux composites artificiels formés d’arrangements périodiques d’inclusions insérées dans une matrice. On en distingue plusieurs classes selon la nature physique des constituants. On peut ainsi citer les composites solide/solide (respectivement fluide/fluide) dont tous les constituants sont des solides (respectivement fluides) et les composites mixtes formés à la fois de solides et de fluides. En raison de leur structure périodique, les cristaux phononiques peuvent présenter sous certaines conditions (géométrie du réseau d’inclusions, fraction volumique des inclusions, forme des inclusions, …) des bandes interdites c’est-à-dire des domaines fréquentiels dans lesquels la propagation des ondes est interdite. Leur application à l’isolation phonique découle naturellement de cette propriété. Cependant, dans ces structures, d’autres propriétés remarquables peuvent aussi être mises en évidence, notamment la réfraction négative, qui permet de focaliser les ondes acoustiques en vertu de la loi de Snell-Descartes.
Depuis leur découverte au début des années 1990, les cristaux phononiques ont été étudiés de façon intensive en tant qu’écrans acoustiques, mais dans la plupart de ces études, leurs performances sont établies par, uniquement, la détermination expérimentale des coefficients de réflexion et de transmission d’ondes acoustiques. Dans ce travail, en plus d’une étude en transmission, nous avons cherché à analyser comment le son est perçu par un auditeur lorsqu’il traverse un écran acoustique constitué d’un cristal phononique.
Le cristal phononique considéré ici est un composite mixte formé d’un réseau triangulaire de tubes en PVC de 10 cm de diamètre, de longueur 1 m, espacés de 12 cm, et placés dans l’air. Ce cristal a été conçu dans le but de présenter deux caractéristiques dans la gamme des fréquences audibles : deux bandes interdites disjointes (l’une de 1080 à 1610 Hz et l’autre de 2500 à 2960 Hz) séparées par une bande à réfraction négative, avec une focalisation autour de 1700 Hz. Les expériences, réalisées dans l’air, ainsi que les simulations numériques mettent bien en évidence ces deux effets : une transmission très atténuée dans les bandes interdites mais plus forte pour des fréquences autour de 1700 Hz, ce qui peut être associé à un phénomène de focalisation du son.
Des études supplémentaires, numériques et psycho-acoustiques, ont alors été menées afin d’analyser précisément comment le son est perçu par un auditeur lorsqu’il traverse un écran acoustique constitué d’un cristal phononique d’épaisseur finie. Dans un premier temps, une grandeur fréquemment utilisée en perception auditive, la « sonie en tiers d’octave », a été calculée en utilisant les résultats de simulation numérique du champ acoustique obtenus dans trois situations différentes : propagation en champ libre (CL) c’est-à-dire en l’absence de tout obstacle entre la source sonore et l’auditeur, propagation à travers un cristal phononique (CP) d’épaisseur finie et propagation à travers un mur rigide de dimensions identiques à celles du cristal phononique (M). Cette étude numérique montre une diminution importante de la sonie dans la situation (CP) pour des fréquences appartenant aux bandes interdites; une diminution d’un niveau similaire au cas (CP) étant observée dans la situation (M). De plus dans la situation (CP) et pour des fréquences proches de la focalisation, la sonie atteint des valeurs plus importantes que dans les 2 autres cas. Dans un second temps et afin d’étudier si les différences et similarités observées dans la sonie pour les différents schémas de propagation envisagés ((CL), (CP) et (M)) sont perceptibles par des auditeurs « humains », un test d’écoute a été réalisé auprès de 25 volontaires. Ceux-ci ont été exposés à divers stimuli sonores obtenus en convoluant des « bruits tiers d’octave » avec les réponses impulsionnelles calculées dans les situations (CL), (CP) et (M) pour différentes bandes de fréquences. Ces tests d’écoute corroborent l’analyse de la sonie. La situation (CP) conduit bien d’une part à un niveau sonore plus faible, du même ordre que dans le cas (M), pour les fréquences appartenant aux bandes interdites. D’autre part, un niveau sonore plus élevé dans le cas (CP) est ressenti dans la gamme de fréquences de la focalisation, donnant l’illusion à l’auditeur d’avoir une source sonore plus proche de lui.
Cette étude montre donc qu’un écran acoustique efficace pour les fréquences audibles peut être conçu à partir d’un cristal phononique de structure simple et constitué de matériaux usuels ; cette efficacité étant du même ordre que celle obtenue avec un écran massif solide. Cette étude doit permettre de proposer des alternatives intéressantes aux murs anti-bruit usuels. En effet ces derniers qui sont le plus souvent des murs continus massifs ont un impact visuel négatif sur le paysage environnant, s’opposent au passage de la lumière ambiante, ont une résistance très importante aux flux d’air et sont constitués de matériaux peu ou pas du tout bio-compatibles. On peut alors imaginer de nouveaux écrans acoustiques à base de cristaux phononiques dans lesquels les inclusions seraient des arbres ou des poteaux végétalisés, et s’intégrant parfaitement dans leur environnement …