Des Jonctions Moléculaires Innovantes pour des Commutateurs et Détecteurs Térahertz

Le groupe Nanostructures, nano-Composants et Molécules (NCM), en collaboration avec le groupe Systèmes Conjugués Linéaires (SCL) à Moltech-Anjou (Angers) et le laboratoire de chimie des nouveaux matériaux (U. Mons, Belgique) a développé des jonctions moléculaires conçues pour fonctionner comme des commutateurs dans le domaine des fréquences térahertz (THz), une avancée significative dans l’électronique à l’échelle moléculaire.

Ces jonctions moléculaires sont constituées de monocouches auto-assemblées (SAMs) de molécules présentant une structure π-σ-π. Cette structure comprend deux groupements conjugués (π) reliés par un espaceur non conjugué (σ), une configuration qui permet au dispositif de présenter une conductance différentielle négative (NDC) — un phénomène dans lequel une augmentation du voltage à travers un dispositif entraîne une diminution du courant.

Le NDC survient lorsque la tension électrique appliquée aligne les niveaux d’énergie des deux sous-unités conjuguées, générant un pic de courant, suivi d’une diminution lorsque ces niveaux se désalignent. Cette propriété est essentielle pour le fonctionnement des commutateurs moléculaires, jouant un rôle crucial dans la transition entre des états de haute et de basse conductance sous l’influence d’une irradiation térahertz.

L’installation expérimentale a consisté à créer des jonctions moléculaires en assemblant soigneusement des SAMs sur des électrodes en or ultra-plates, puis à mesurer leurs propriétés de transport électronique en utilisant la microscopie à force atomique conductive (C-AFM) (figure 1.a). Cette technique, combinée à l’irradiation laser térahertz (à 30THz et à 2.5THz), a permis d’observer et d’analyser le comportement de commutation en temps réel et à température ambiante (figure 1. b). Il a été découvert qu’à 30 THz, l’effet NDC pouvait être complètement et réversiblement supprimé en fonction de la puissance et de la fréquence de l’onde térahertz, ce qui constitue non seulement une réalisation expérimentale majeure, mais aussi une validation des prédictions théoriques (figure 1.c). Ce comportement indique une interaction hautement sensible entre les jonctions moléculaires et le champ térahertz, soulignant le potentiel de ces jonctions pour être utilisées dans des détecteurs térahertz avancés.

Le mécanisme de suppression des effets NDC sous irradiation térahertz repose sur une interaction dynamique entre l’onde THz et les orbitales moléculaires des deux sous-unités du système moléculaire. Cette interaction induit un transfert de charge résonant entre les niveaux d’énergie des molécules, ce qui entraîne une réduction du courant au niveau des pics de conductance. De plus, l’effet de suppression est renforcé par un phénomène connu sous le nom de « destruction cohérente de l’effet tunnel », où l’irradiation térahertz désactive temporairement le passage des électrons à travers la jonction moléculaire, réduisant ainsi la conductance globale. La présence de polaritons de plasmon de surface, en interaction avec les niveaux moléculaires, contribue également à cette suppression.

Cependant, lorsque les dispositifs ont été soumis à une irradiation de 2,5 THz, la suppression du comportement NDC n’a pas été observée. Cela indique que l’énergie photonique de 2,5 THz (environ 10 meV) est insuffisante pour induire le même effet de suppression que celui observé à 30 THz. Ces résultats soulignent l’importance de la fréquence de l’irradiation térahertz dans le fonctionnement du commutateur moléculaire, démontrant ainsi que la réponse du dispositif est fortement dépendante de l’énergie des photons incident.

En regardant vers l’avenir, l’intégration de ces commutateurs moléculaires dans des détecteurs térahertz pratiques semble possible. L’équipe propose d’utiliser des électrodes transparentes de grande surface, telles que le graphène monocouche, qui serait presque transparent aux ondes térahertz, facilitant ainsi le processus de détection. De plus, la nature modifiable des molécules par ingénierie chimique permettrait d’ajuster la réponse en fréquence de ces dispositifs en modifiant les groupements conjugués π, élargissant ainsi leur applicabilité à travers une gamme de fréquences térahertz.