Des guides photoniques sur puce aussi performants que les canaux topologiques ?

Gaëtan Lévêque1, Pascal Szriftgiser2, Alberto Amo2, Yan Pennec1
1Institute of Electronics, de Microelectronics and Nanotechnology (IEMN, CNRS-8520), Cité Scientifique, Avenue Poincaré, 59652 Villeneuve d’Ascq, France

2University of Lille, CNRS, UMR 8523-PhLAM-Physique des Lasers Atomes et Molécules, F-59000 Lille, France

La topologie photonique, en proposant une manière particulière de créer une interface entre deux structurations périodiques d’une même membrane isolante, promet de guider un signal électromagnétique avec des pertes minimales dans des circuits miniaturisés complexes. Elle est ainsi un élément clef du développement des télécommunications térahertz ou des technologies quantiques. Nous proposons une nouvelle structuration de membrane enrichissant les formes possibles d’interfaces, afin de questionner l’origine topologique des performances remarquables des cristaux photoniques élaborés suivant l’approche dite de « vallée ».

Les isolants topologiques photoniques sont des systèmes imitant avec des photons les effets Hall quantiques observés dans leur contrepartie électronique en physique du solide, avec pour objectif de transporter des signaux électromagnétiques via des modes d’interfaces « robustes », c’est-à-dire se propageant sans rétrodiffusion malgré la présence de défauts ou de virages abrupts le long de leur trajet. Cependant, le caractère bosonique des photons impose que dans les systèmes bidimensionnels la symétrie par renversement du temps soit brisée (par exemple par l’application d’un champ magnétique).

Figure 1: (a) Schéma montrant la géométrie du cristal photonique, composé de trois ensembles de losanges de tailles différentes, regroupés par couleurs sur la moitié gauche. Les losanges représentent des trous d’air dans une matrice de silicium. (b) Diagramme de bandes pour la géométrie en insert. (c) Distribution de la courbure de Berry dans la première zone de Brillouin, le long de la bande de plus basse fréquence. (d) Interface construite entre un réseau original A et un réseau image B.

Il existe une autre approche dans certains cristaux photoniques dits « de vallée ». Ces matériaux exploitent une propriété géométrique de l’onde électromagnétique, appelée courbure de Berry, que l’on peut représenter sur une carte dans l’espace à deux dimensions des directions de propagation des ondes (espace réciproque). 

Pour mieux comprendre, imaginons une fourmi cherchant à avancer « le plus droit possible » sur une surface bosselée : elle va être déviée en passant sur le flan d’une bosse, qui présente une courbure non-nulle à la différence d’une surface plate. De manière analogue, la courbure de Berry est à l’origine d’une rotation (phase) de l’état d’un photon se déplaçant dans une direction donnée.
Par construction, les cristaux photoniques de vallée ne sont pas symétriques par rapport à une symétrie centrale, ce qui leur confère une courbure de Berry non nulle, concentrée autour de certaines directions de propagation (notées K et K’ dans l’espace réciproque). Lorsqu’on place côte à côte deux cristaux formant une image miroir l’un de l’autre le long de ces directions, cette courbure change de signe à l’interface, ce qui crée une transition topologique. C’est cette transition qui est souvent proposée pour expliquer pourquoi la lumière peut se propager de manière robuste le long de l’interface. Cependant, plusieurs travaux récents questionnent cette interprétation [1].
Notre travail introduit un motif original de cristal photonique [2], consistant en trois sous-ensembles de losanges dont la taille est modifiée indépendamment, voir Figure 1(a). Pour des paramètres bien choisis, le système présente une bande interdite entre les première et deuxième bandes, Figure 1(b). Dans l’espace réciproque, la courbure de Berry est concentrée autour des directions de propagation K et K’, avec des signes opposés, figure 1(c). L’originalité de notre structure provient du fait que le nombre d’interfaces possibles est plus important que dans les systèmes usuels comportant deux trous dissymétriques uniquement. Au lieu de seulement deux interfaces présentant une symétrie miroir et avec transition topologique dans ce dernier cas, nous obtenons 18 interfaces, similaires à celles indiquées sur la figure 1(d), certaines avec transition topologique et d’autres sans.

Figure 2: Courbes de transmissions et distributions de l’amplitude du champ magnétique dans des circuits correspondant à une cavité triangulaire couplée à un guide droit (a-e), ou à un trajet de forme arbitraire (f-h). L’étoile verte sur les figures (a) et (f) indique la position de la source, et les flèches en pointillés indiquent les directions de propagation sans rétrodiffusion. Les figures (b,c,g) (resp. d,e,h) correspondent à l’interface avec (resp. sans) transition topologique. Le détail de la forme de l’interface est montré en insert des courbes de transmission. Les cartes (c) et (d) sont tracées pour les fréquences indiquées par des flèches.

Nous avons comparé la propagation des modes d’interface le long de circuits de complexité croissante (Figure 2). Dans la situation servant traditionnellement de test pour la protection topologique, Figure 2(a), le circuit ne comporte que des virages à 120°, ici avec une cavité triangulaire, le long desquels le mode ne se propage que suivant les directions K ou K’, sans passer de l’une à l’autre (flèches en pointillés sur la figure 2(a)). En particulier, la réflexion n’est pas possible et la transmission à travers le circuit est plate, la forme du champ est régulière, que ce soit pour une interface avec, (b,c), ou sans, (d,e), transition topologique. Ce dernier cas est étonnant, et est attribué à la chiralité de l’interface. En revanche, des simulations réalisées sur des circuits de forme arbitraire, figure 2(f), montrent que la transition topologique assure une bien meilleure transmission par rapport à une interface triviale, les réflexions distribuées le long du trajet étant bien moindres dans le premier cas. Notre étude, tout en mettant en évidence la possibilité de transmettre avec une quasi-absence de rétrodiffusion un signal le long d’une interface non-topologique, établit cependant une hiérarchie entre les interfaces topologiques et triviales pour des circuits de forme arbitraire, dans lesquels les premières se montrent plus performantes.

Cette étude est le résultat d’une collaboration entamée en 2019 entre les groupes de Physique (G. Lévêque et Y. Pennec), Photonique THz (G. Ducournau), NAM6 (M. Faucher) de l’IEMN et le laboratoire PhLAM (A. Amo et P. Szriftgiser). Une première publication a porté sur l’évaluation de la protection topologique dans des cristaux photoniques de vallée par des méthodes semi-analytiques et numériques [3], puis une deuxième a permis de démontrer l’applicabilité de la topologie de vallée à la conception de dispositifs de télécommunication térahertz, notamment pour les réseaux 5G et 6G [4].

[1] Impact of Transforming Interface Geometry on Edge States in Valley Photonic Crystals, D. Yu, S. Arora, L. Kuipers, Phys. Rev. Lett. 132, 116901 (2024) ; Canonical scattering problem in topological metamaterials: Valley-Hall modes through a bend, T. Torres, C. Bellis, R. Cottereau, A. Coutant, Proc. R. Soc. A 480, 20230905 (2024).

[2] Relation between interface symmetry and propagation robustness along domain walls based on valley topological photonic crystals, G. Lévêque, P. Szriftgiser, A. Amo, Y. Pennec, APL Photonics 9, 126107 (2024).

[3] Scattering matrix approach for a quantitative evaluation of the topological protection in valley photonic crystals, G. Lévêque, Y. Pennec, P. Szriftgiser, A. Amo, and A. Martínez, Phys. Rev. A 108, 043505 (2023).

[4] Engineering the breaking of topological protection in valley photonic crystals enables to design chip level functions for THz 6G communications and beyond, A. S. Mohammed, G. Lévêque, E. Lebouvier, Y. Pennec, M. Faucher, A. Amo, P. Szriftgiser, and G. Ducournau, J. Lightwave Technol. 42(23), 8323–8335 (2024).