Cette dernière décennie a vu la découverte de nombreux matériaux aux propriétés électroniques extraordinaires traduisant des effets quantiques originaux induits par leur dimensionnalité et leur topologie. A l’instar des effets physiques rencontrés dans le graphène, peut-on induire ces propriétés dans des matériaux semiconducteurs, constituants principaux de l’industrie microélectronique ? C’est ce que viennent de montrer des chercheurs de l’IEMN, en collaboration avec des collègues d’Utrecht, Shanghai, Bordeaux et Paris-Saclay, grâce à des approches nano-technologiques innovantes sur semiconducteurs III-V.
Lorsqu’un cristal est réduit à deux dimensions, les électrons ont des propriétés quantiques totalement inusuelles et contre-intuitives. Dans certains matériaux comme le graphène, les électrons peuvent se comporter comme des particules relativistes sans masse, un peu comme les photons. A l’opposé, dans d’autres matériaux, les électrons peuvent être placés dans des bandes électroniques totalement plates, leur procurant une masse infinie. Ces systèmes électroniques à bandes plates suscitent actuellement un intérêt considérable de la part des physiciens. En effet, les électrons ayant une énergie cinétique nulle, des phases quantiques très originales peuvent se former, par exemple des phases superfluides.
Peut-on induire ces effets dans des matériaux artificiels, dont les propriétés résulteraient de leur fabrication et donc d’une ingénierie des bandes électroniques ? C’est sur cette question que se sont penchés des chercheurs de l’IEMN et du Debye Institute à Utrecht. La piste explorée est de partir d’un milieu dans lequel les électrons sont originellement parfaitement libres de se déplacer suivant deux dimensions. Grâce à l’application d’un potentiel périodique, les ondes électroniques sont diffusées par le potentiel, induisant les dispersions de bandes recherchées sous l’effet d’interférences quantiques. Cette approche requiert de structurer le gaz d’électrons libres avec une périodicité proche de la longueur d’onde électronique, de quelques nanomètres à quelques dizaines de nanomètre en fonction des matériaux choisis. Elle a été récemment validée à Utrecht, en collaboration avec l’IEMN, dans le cas d’électrons localisés sur une surface de cuivre soumis à un réseau périodique de molécules de CO déplacées au moyen d’une pointe à effet tunnel [1].
Induire ces mêmes effets dans un semiconducteur conventionnel, tel que ceux utilisés par l’industrie microélectronique, ouvrirait évidemment des perspectives fascinantes pour disposer de plateformes quantiques intégrables et compatibles avec les technologies microélectroniques. Une première étape vers cet objectif vient d’être franchie et publiée dans la revue Nano Letters [2]. Un réseau en nids d’abeilles a été fabriqué dans un puits quantique d’InGaAs à l’aide d’une technique de nanostructuration originale développée au LCPO à Bordeaux, la lithographie à copolymères à blocs qui permet d’atteindre des paramètres de réseau de l’ordre de 21 nm. Des mesures de spectroscopie à effet tunnel réalisées à l’IEMN et à Utrecht démontrent une profonde modification de la structure de bandes électroniques, comme cela avait été prédit. En particulier, malgré les effets de désordre inhérents à la nano-lithographie, les spectres possèdent les caractéristiques attendues par la formation de bandes plates présentant une très forte densité d’états électroniques. Cette prouesse, qui a nécessité de repousser les limites des techniques de lithographie actuelles, ouvre la voie à la génération de phases quantiques non triviales dans les matériaux semiconducteurs les plus répandus.
En savoir plus
[1] p Orbital Flat Band and Dirac Cone in the Electronic Honeycomb Lattice
T.S. Gardenier, J.J. van den Broeke, J.R. Moes, I. Swart, C. Delerue, M.R. Slot, C. Morais Smith, and D. Vanmaekelbergh. ACS Nano 14 (10), 13638-13644 (2020).
https://dx.doi.org/10.1021/acsnano.0c05747
[2] Engineering a Robust Flat Band in III–V Semiconductor Heterostructures
N.A. Franchina Vergel, L. Christiaan Post, D. Sciacca, M. Berthe, F. Vaurette, Y. Lambert, D. Yarekha, D. Troadec, C. Coinon, G. Fleury, G. Patriarche, T. Xu, L. Desplanque, X. Wallart, D. Vanmaekelbergh, C. Delerue, and B. Grandidier. Nano Letters 21 (1), 680-685 (2021).
https://dx.doi.org/10.1021/acs.nanolett.0c04268
supports ANR : ANR-16-CE24-0007-01 et ANR-17-CE09-0021-03