Quand le graphène se met à briller, sans chauffer.

C’est une règle que tout étudiant en physique a apprise : “les métaux ne peuvent pas être électroluminescents”. Pourtant une équipe de chercheurs qui associe plusieurs laboratoires dont l’IEMN, vient de démontrer que le graphène, matériau métallique, peut émettre de la lumière sans chauffer, un comportement jusqu’ici réservé aux semi-conducteurs. Cette électroluminescence inédite, observée dans l’infrarouge, ouvre de nouvelles perspectives pour des sources lumineuses plus efficaces et miniaturisées.

L’électroluminescence est la capacité à produire de la lumière sous l’effet d’un courant électrique sans échauffement notable, elle est au cœur de nombreuses technologies modernes, des écrans plats, aux diodes Laser. Pourtant, ce phénomène était jusqu’à présent réservé aux matériaux semi-conducteurs, et considéré comme hors de portée des métaux.

Dans un semi-conducteur, les électrons peuvent accumuler de l’énergie dans des états excités, séparés des états de repos par une bande interdite. C’est cette accumulation qui permet l’émission de lumière « froide », comme dans les diodes électroluminescentes (LED). Les métaux, eux, n’ont pas cette bande interdite : leurs électrons relâchent très vite leur énergie sous forme de chaleur et de lumière incandescente, ce qui rend impossible l’électroluminescence… du moins, jusqu’à aujourd’hui.

Le graphène, un matériau bidimensionnel constitué d’une seule couche d’atomes de carbone, met en évidence une exception à cette règle et peut lui aussi, sous certaines conditions, devenir électroluminescent. Cette découverte, publiée dans la revue Nature, repose sur l’utilisation de graphène de très haute qualité encapsulée dans du nitrure de bore hexagonal (hBN), qui permet de préserver les propriétés électroniques hors du commun de ce matériau.

Le graphène est un semi-métal aux électrons ultramobiles, peu couplés à leur environnement, qui peuvent atteindre des états électroniques très loin de l’équilibre thermique. Dans ce régime extrême, nous avons observé une émission de lumière infrarouge cohérente avec une électroluminescence, et non une simple incandescence. Cela fait du graphène le tout premier « métal » électroluminescent connu.

Au-delà de l’émission lumineuse, ces travaux mettent en évidence un autre phénomène : un transfert d’énergie radiatif particulièrement efficace entre le graphène et son substrat. En effet, jusqu’à 70 % de l’énergie dissipée par le courant électrique est transférée au substrat via des interactions électromagnétiques, notamment par l’excitation de phonon-polaritons hyperboliques dans le hBN.

Ces quasi-particules, résultant du couplage entre photons et vibrations du réseau cristallin, permettent un transfert d’énergie à distance, sans conduction thermique et donc sans échauffement.

Cette découverte remet en question les limites traditionnelles de l’électroluminescence et ouvre de nouvelles perspectives pour la conception de sources lumineuses dans l’infrarouge, domaine crucial pour les télécommunications et la détection. La capacité du graphène à émettre de la lumière sans échauffement significatif pourrait également conduire à des dispositifs optoélectroniques plus efficaces et compacts avec des applications potentielles en nanophotonique ou pour des sources de lumière intégrées à très petite échelle.

Représentation de l’électroluminescence dans le graphène générée par DALL·E @Crédit : Thèse d’Aurélien Schmitt (2023)


Ce travail est le résultat d’une collaboration entre le Laboratoire de Physique de l’École normale supérieure (LPENS), l’Institut Langevin, l’Institut d’Optique de Palaiseau, l’Université de Lyon et de l’INSA et avec la participation de David Mele aujourd’hui enseignant à JUNIA et chercheur à l’IEMN, laboratoire également affilié à cette publication.

Référence:

Electroluminescence and energy transfer mediated by hyperbolic polaritons, Loubnan Abou-Hamdan et al, Nature 639, 909 (2025) ;

https://doi.org/10.1038/s41586-025-08627-6

Contact :

david.melejunia.com