1. Développement d’une micro-batterie 3D à ions lithium tout solide (IEMN, IMN, UCCS, LRCS)
Dans le domaine des micro-batteries au lithium, une couche de nitrure de silicium (SiN – barrière de diffusion du lithium) est déposée sur le substrat en silicium. Ce matériau étant un isolant électronique, il faut donc déposer un collecteur de courant métallique sur ce SiN avant de réaliser l’électrode négative de la micro-batterie ce qui complique l’empilement de matériaux. Pourquoi ne pas réaliser un matériau combinant la fonction de barrière de diffusion au lithium et collecteur de courant faiblement résistif ? Les nitrures de métaux de transition comme le nitrure de titane (TiN) semblent être des candidats idéaux pour cette application. Nous avons montré (figure 2) au sein du groupe CSAM que ce TiN apparaît donc comme une alternative crédible dès lors que l’on souhaite réaliser une micro-batterie 2D ou 3D dans laquelle l’électrode négative est en contact avec le substrat en silicium1.

Figure 2 – Evolution de la résistivité du TiN (A) et de la capacité surfacique (B) en fonction de la température utilisée dans le procédé de dépôt par pulvérisation cathodique. C. Cyclage galvanostatique d’une électrode d’or déposée sur silicium avec et sans barrière de diffusion en TiN (D).
Nous avons aussi démontré récemment la possibilité de réaliser des structures 3D originales et performantes en usinant un substrat de silicium. Dans ce concept poussé de miniaturisation, l’empreinte surfacique des microdispositifs s’avère très limitée. Des structures 3D robustes composées de tapis de microtubes simples ou doubles sont ensuite recouvertes par des dépôts conformes de matériaux utilisables dans une micro-batterie Li-ion 3D tout solide. D’une empreinte surfacique de quelques mm2, ces structures 3D permettent à ce jour un gain de surface d’environ 50, i.e. un développement de surface spécifique de 50 mm2. La capacité surfacique des films minces déposés en qualité d’électrode positive en négative2–4 est alors exacerbée par cette structuration 3D (figure 3).
Cette architecture 3D a pour originalité d’être à une échelle micrométrique et non nanométrique. Nous avons ont fait ce choix au sein du groupe CSAM car les approches nanométriques (avec des nanotubes de carbone ou des nanofils de silicium) ont le défaut d’être plus fragiles et flexibles. Par ailleurs, la faible distance entre 2 nanostructures limite drastiquement l’épaisseur de matériaux actifs déposables et donc les performances en densité d’énergie. L’avantage de ce travail réalisé par deux doctorants (Manon Létiche – thèse IEMN/UCCS et Jeremy Freixas – thèse IEMN/IMN) à l’échelle du micromètre est donc double. D’abord, il confère au substrat micro-structuré une robustesse permettant le dépôt de toutes les couches nécessaires (et d’épaisseur suffisante) pour produire des micro-batteries 3D de haute performance. Cette robustesse permet en outre de pouvoir manipuler les wafers de silicium sans craindre de briser les structures 3D qui résisteront ainsi à l’enduction centrifuge de résine photosensible visqueuse classiquement utilisée en microélectronique… Le tout présentant des gains de surface finalement comparables, voire meilleurs, que celui des nanostructures 3D.
Une fois ce substrat 3D de qualité créé, nous avons démontré une première preuve de concept visant la finalisation d’un prototype de micro-batterie 3D Li-ion tout solide. A ce titre, nous avons déposé 4 des 6 couches de matériaux nécessaires à l’obtention d’une batterie complète sur ces structures 3D. La technique utilisée pour le dépôt de ces 4 premières couches est celle du dépôt par couche atomique (ALD), technique déjà utilisée à l’échelle industrielle, par exemple dans le cas du photovoltaïque, de la fabrication de transistor ou de mémoire vive dynamique (DRAM). Elle nous a permis de créer une couche isolante (Al2O3), un collecteur de courant (Pt), une électrode négative (TiO2) et un électrolyte (Li3PO4) (figure 4).
Contrairement à beaucoup de confrères et à ce qui se fait classiquement dans la fabrication de batterie massive, l’électrolyte est sous forme solide et non liquide. Ainsi, ces micro-batteries ne souffrent pas des limites des électrolytes liquides : inflammabilité, évaporation des solvants, fuite potentielle. Les dépôts de ces 4 couches épousent parfaitement les formes complexes des microstructures 3D et l’électrolyte solide Li3PO4 fabriqué par ALD combine une fenêtre de stabilité électrochimique élevée (4.2 V), une haute conductivité ionique et une faible épaisseur (10 à 50 nm) générant une faible résistance surfacique. L’ALD permet, en plus, une très bonne qualité des dépôts comme ont pu le vérifier les chercheurs par plusieurs techniques de caractérisations avancées (FIB TEM, EDX STEM, tomographie TXM synchrotron) : conformité proche de 100 %, pas d’inter-diffusion entre les couches ALD et absence de trous/fissures/craquelures.

Figure 4 – Illustration des topologies 3D utilisées dans les micro-batteries Li-ion développées au sein du groupe CSAM de l’IEMN. Ces structures sont recouvertes par des dépôts conformes de matériaux déposés par ALD, comme l’attestent les analyses par microscopie électronique à transmission et par nanotomographie à rayonnement X synchrotron (collaboration avec le synchrotron d’Argonne, APS).
2. Développement de micro-supercondensateurs 3D à base de matériaux pseudocapacitifs (IEMN, IMN et LRCS)
Ces microstructures 3D originales (protégées par un brevet CNRS) et performantes peuvent être aussi utilisées comme socle de base de micro-supercondensateurs 3D (thèse Etienne Eustache – IEMN/IMN), dispositifs complémentaires aux micro-batteries 3D Li-ion fabriquées dans le cadre de ce projet.

Figure 5 – Etude électrochimique des électrodes planaires et 3D de MnO2. Voltamétries cycliques d’une électrode planaire (A) et 3D (B) en milieu aqueux à 5 mV.s-1. Evolution de la capacité des électrodes 3D en fonction de la vitesse de balayage (C) et tenue en capacité sur 15 000 cycles (D).
Pour augmenter de façon significative les performances en densité d’énergie surfacique des micro-supercondensateurs, nous focalisons notre choix sur le matériau pseudocapacitif dioxyde de manganèse, MnO2. Il est naturellement abondant, peu cher et peu toxique et permet d’obtenir des capacités importantes : la littérature fait état de capacités de l’ordre de 120 à 250 F.g-1 et la cyclabilité a été démontrée sur plusieurs centaines de milliers de cycle de charge/décharge généralement de quelques dizaines de secondes.
Dans un premier temps, nous avons cherché à obtenir une électrode fonctionnelle de MnO2 sur un substrat 3D. Le dépôt de MnO2 est réalisé par électrolyse dans le groupe de Thierry Brousse (IMN). Afin de déterminer la capacité de nos électrodes5, nous avons réalisés des mesures par voltampérométrie cyclique (CV) en électrolyte aqueux (0.5M Na2SO4) à 2 mV.s-1. Un film mince de MnO2 (200 nm) déposé sur un substrat plan démontre une capacité surfacique de 10 mF.cm-2 (figure 5A). Ce même film, déposé sur des substrats micro-architecturés (piliers ou tubes) nous permet d’obtenir une capacité record de 670 mF.cm-2 (figure 5B) à 2 mV.s-1. A 50 mV.s-1, la capacité spécifique de cette électrode 3D est encore de 400 mF.cm-2 (figure 5C). La cyclabilité a été démontrée comme étant supérieure à 15 000 cycles (figure 5D). A titre de comparaison, la capacité maximale obtenue est équivalente à une électrode massive de carbone activé à 100 F/g chargée à 6.7 mg.cm-2. En tenant compte de la densité d’un carbone activé, cela reviendrait à cycler un film de 130 µm d’épaisseur tandis que l’épaisseur des films minces de MnO2 déposée ne dépasse pas 0.3 µm.
Les performances de ces électrodes « couches minces » (épaisseur < 500 nm) ont été comparées à la littérature (2D et 3D). Le graphique de la figure 6 représente des électrodes de MnO2 planaires (couleur bleue foncée) et 3D (rouge). Nos électrodes 3D (bleue claire et orange), grâce au concept de microstructures 3D, sortent complètement du nuage de points de la littérature. Quelques tentatives de dépôts 3D de MnO2 ont été menées par différents groupes de recherche dans le monde mais la capacité surfacique n’a jamais dépassé 150 mF.cm-2 (rouge).

Figure 6 – Evolution de la capacité surfacique d’électrodes de MnO2 en fonction de l’épaisseur déposée : comparaison avec l’état de l’art.
Des micro-supercondensateurs 3D symétriques MnO2/MnO2 ont été fabriqués en topologie interdigitée à l’échelle du wafer. La densité d’énergie surfacique atteint 20 µWh.cm-2 tout en maintenant une densité de puissance surfacique de plus de 1 mW.cm-2 ce qui positionne ces dispositifs parmi les meilleurs à ce jour.
3. Fabrication de micro-supercondensateurs à base de carbone dérivé de carbure métallique (IEMN, LRCS, CIRIMAT)
En collaboration avec le groupe de Patrice Simon et Pierre Louis Taberna au CIRIMAT, nous développons la fabrication de micro-supercondensateurs planaires à base de carbone nanoporeux dérivé de carbure métallique déposé en couche mince. Le carbure de titane (TiC) est le matériau sélectionné pour la fabrication des électrodes de ces micro-supercondensateurs à doubles couches électrochimiques (EDLC). Les paramètres de dépôt par pulvérisation cathodique (figure 8) ainsi que la gravure sèche des électrodes interdigitées ont été optimisés au sein du groupe CSAM.

Figure 8 – Ajustement des paramètres de dépôts pour contrôler les propriétés physiques du carbure de titane déposé par pulvérisation cathodique.
Le concept6,7 est à la fois compatible avec les procédés de production actuels de l’industrie de la microélectronique et permet une très bonne adhésion sur le substrat de silicium grâce à une structure originale. Une couche « support » de carbure de titane (TiC) est tout d’abord déposée par pulvérisation cathodique sur un substrat de silicium. Elle est ensuite usinée par gravure sèche pour fabriquer deux électrodes de TiC interdigitées (figure 9).
Un traitement thermique effectué au CIRIMAT (chloration – figure 10) permet de retirer sélectivement le métal du carbure métallique pour obtenir un micro-supercondensateur à base de carbone nanoporeux. La chloration partielle de TiC permet l’obtention d’électrodes de carbone dérivé de carbure présentant une semelle de TiC.

Figure 10 – Vue en coupe d’un film mince de TiC chloré à 500 °C (A). L’épaisseur de la couche de CDC est de 5 µm et le film mince adhère parfaitement au substrat de silicium grâce à la chloration partielle de la couche mince. L’analyse Raman de la couche avant et après chloration est présentée en figure B.
Mieux, si la réaction de synthèse est poussée à son terme, toute la couche « support » de TiC est transformée en carbone nanoporeux, qui se décolle alors du substrat de silicium. Ce film autosupporté, mécaniquement stable, et micrométrique est potentiellement utilisable pour des applications flexibles ou « portables » (wearable). Au-delà de l’application pour le micro-stockage électrochimique de l’énergie, ces matériaux offrent des perspectives pour la mise au point de revêtements élastiques à faible coefficient de frottement ou encore pour la réalisation de membranes pour la filtration de gaz.
Les micro-supercondensateurs fabriqués en collaboration avec l’IMN et le CIRIMAT se positionnent parmi les meilleurs à ce jour avec des densités d’énergie supérieures à 1 µWh.cm-2 tout en maintenant des densités de puissance surfaciques de plus de 1 mW.cm-2 (figure 11). En normalisant ces densités par l’épaisseur de matériaux actifs, nous voyons tout l’intérêt de la structuration 3D des micro-supercondensateurs pseudocapacitifs (figure 11B).

Figure 11 – Diagramme de Ragone des micro-supercondensateurs fabriqués en collaboration avec l’IMN (3D MnO2/MnO2) et le CIRIMAT (Carbone nanoporeux dérivé de carbure métallique) présentant l’évolution de la densité d’énergie surfacique en fonction de la densité de puissance (A). Les performances sont ensuite normalisées par l’épaisseur des matériaux actifs (B).
Collaborations scientifiques : Pascal Roussel (UCCS – UMR CNRS 8181), Thierry Brousse (IMN – UMR 6502), Patrice Simon et Pierre Louis Taberna (CIRIMAT – UMR CNRS 5085) et Arnaud Demortière (LRCS – UMR CNRS 7314)
Références
- Freixas, J. et al. Sputtered Titanium Nitride: A Bifunctional Material for Li-Ion Microbatteries. J. Electrochem. Soc. 162, A493–A500 (2015).
- Eustache, E. et al. Silicon-microtube scaffold decorated with anatase TiO2 as a negative electrode for a 3D litium-ion microbattery. Adv. Energy Mater. 4, 1–11 (2014).
- Létiche, M. et al. Atomic Layer Deposition of Functional Layers for on Chip 3D Li-Ion All Solid State Microbattery. Adv. Energy Mater. 201601402, 1–12 (2016).
- Lethien, C. et al. Micro-patterning of LiPON and lithium iron phosphate material deposited onto silicon nanopillars array for lithium ion solid state 3D micro-battery. Microelectron. Eng. 88, 3172–3177 (2011).
- Eustache, E., Douard, C., Retoux, R., Lethien, C. & Brousse, T. MnO2 Thin Films on 3D Scaffold: Microsupercapacitor Electrodes Competing with ‘bulk’ Carbon Electrodes. Adv. Energy Mater. 5, 1–8 (2015).
- Huang, P. et al. On-chip and freestanding elastic carbon films for micro-supercapacitors. Science 351, 691–695 (2016).
- Brousse, K. et al. Electrochemical behavior of high performance on-chip porous carbon films for micro-supercapacitors applications in organic electrolytes. J. Power Sources 328, (2016).
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Contact : Christophe.loyez@iemn.univ-lille1.fr